Le 8 Mai 2020 a marqué le quarantième anniversaire de l’éradication officielle de la variole, naturellement tous les poncifs autour de la vaccination anti-variolique (qui a sauvé le monde) ont été maintes fois rabâchés sans qu’aucun avis historiquement mieux informé ne puisse se faire entendre. Mais voilà, pour Bernard Guennebaud il y va de la variole comme de la Loi de Poisson, qui veut en parler devrait d’abord en connaître parfaitement le sujet. Attention, cet article vous déroutera certainement car il est pour une fois de lecture facile, alors… Bonne lecture.

Introduction

La victoire sur la variole signait l’arrêt de la circulation des 2 virus de la variole humaine, la variole majeure, la plus dangereuse et la variole mineure encore nommée alastrim et souvent confondue avec la varicelle. Elle avait un taux de mortalité (létalité) beaucoup moins élevé que celui de la variole majeure. De plus, elle permettait souvent aux malades de circuler, ce qui la rendait beaucoup plus contagieuse. Aussi, son virus fut plus difficile à éradiquer.

On a ainsi attribué à la variole, sans distinction, les caractéristiques cumulées de ces 2 maladies : tout à la fois une mortalité élevée et une forte contagiosité.

Mon premier article sur l’éradication de la variole [1] s’achevait sur une déclaration en 1999 de Donald Henderson qui, en tant que directeur du programme d’éradication lancé par l’OMS, fut considéré comme le chef de guerre qui obtint la victoire fin 1977 [2] :

https://www.jhsph.edu/about/history/in-memoriam/donald-a-henderson/

– « L’éradication n’a été obtenue que de justesse. Dans de nombreuses régions du monde, ses progrès ont oscillé entre succès et désastres, la décision n’étant souvent emportée que par des circonstances très favorables ou des efforts extraordinaires  des équipes sur le terrain. »

Désastre et pas seulement échec qui pourrait seulement signifier – la vaccination ayant dans un premier temps permis de réduire l’ampleur des épidémies – qu’elle aurait échoué à interrompre la circulation du virus et qu’il suffisait d’affiner le résultat par une stratégie plus ciblée.

C’est d’ailleurs ce que certains essaient d’accréditer mais ce n’est pas la réalité des faits. Par leurs contradictions, les commentaires faits au plus haut niveau révèlent qu’il y a certainement eu de graves problèmes concernant cette campagne d’éradication. Par exemple, en 2008, D. Henderson, toujours lui,  accorde une interview à l’OMS avec pour thème « variole : dissiper les mythes » [3]. A la question :

Q: « The eradication programme was originally conceived as a mass vaccination programme. Do you think that was the right approach? »
Il répondra :
A: « The idea that this was conceived as a mass vaccination programme is a myth. It was not. »

Trad: Q: Le programme d’éradication fut conçu à l’origine comme un programme de vaccination de masse, pensez-vous qu’il s’agissait de la bonne approche?
R: L’idée selon laquelle ceci fut conçu comme un programme de vaccination de masse est un mythe. Ce n’était pas vrai.

Cela est pourtant parfaitement avéré par les déclarations les plus officielles de l’OMS comme dans sa résolution à l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) de 1958 et confirmée par la suite. Il poursuit en confirmant d’ailleurs ce fait crucial: [4]

– « Before 1966 special smallpox control efforts were primarily mass vaccination programmes. Little attention was paid to the reporting and control of cases and outbreaks, which we felt were the most important things. So when we worked to prepare a manual … that was printed in October 1966 – we made a very strong point about the need for surveillance of cases and their containment. »

Trad: « Avant 1966, les efforts spéciaux de lutte contre la variole consistaient principalement en des programmes de vaccination de masse. Peu d’attention a été accordée à la notification et au contrôle des cas et des flambées, qui, selon nous, étaient les choses les plus importantes. Ainsi, lorsque nous avons travaillé à la préparation d’un manuel …/… qui a été imprimé en octobre 1966 – nous avons mis en avant la nécessité d’une surveillance des cas et de leur confinement. « 

Deux  ans plus tard, en octobre 2010, l’OMS publie le rapport d’un comité consultatif qui fait le bilan des recherches sur les virus varioliques entre 1999 et 2010 [5]. La vaccination de masse fut un échec cuisant que les auteurs de ce rapport ne peuvent évidemment ignorer tout comme le changement de stratégie qui suivit et qu’ils rappellent par  un descriptif curieusement formulée (p.4) :

– « En 1959, la Douzième Assemblée Mondiale de la Santé a adopté une résolution proposée par l’Union Soviétique, qui appelait à l’éradication de la variole dans le monde. Entre 1959 et 1966, les progrès ont été plus lents que prévu mais, en 1967, a été lancé le programme intensifié d’éradication de la variole. La politique de vaccination mise en œuvre à l’échelon mondial dans le cadre de ce programme mettait l’accent sur la surveillance de la maladie et a consisté notamment à adopter la méthode de vaccination en anneaux pour éviter la transmission inter-humaine et endiguer les épidémies de variole. On pouvait ainsi identifier les nouveaux cas de variole, les mettre en quarantaine, puis vacciner les personnes en contact étroit avec les sujets infectés et les mettre également en quarantaine. Cette politique a permis d’éradiquer la variole. »

Constatons que la recherche active des malades et des contacts ainsi que leur isolement sont présentés dans ce document comme composantes de la politique de vaccination, les auteurs ajoutant tout aussitôt :

– « L’éradication de la variole constitue à ce jour le succès le plus important remporté par l’OMS et ce résultat montre qu’une prophylaxie fondée sur la vaccination de masse peut permettre d’éradiquer des maladies infectieuses. »

Toutes ces contorsions verbales révèlent que ces commentateurs sont pour le moins embarrassés pour décrire ce qui s’était produit tout en protégeant le prestige de la vaccination.

La réalité fut que de nombreuses campagnes de vaccinations furent suivies de désastres se manifestant par des épidémies qualifiées d’explosives et d’inattendues alors que la variole était reconnue pour se propager lentement. Pourquoi ce paradoxe ? C’est ce que nous allons chercher à comprendre.

Deux nouveaux concepts, les « effets Buchwald »

Dr. Gerhardt Buchwald, 1920-2009

Une hypothèse va permettre d’en proposer une explication : le vaccin antivariolique utilisé au cours de la campagne d’éradication et avant posséderait ce que j’appelle « les effets Buchwald » du nom du médecin allemand Gerhard Buchwald qui l’affirma courageusement et sans ambages à la télévision allemande le 2 février 1970, en pleine épidémie d’importation dans l’hôpital de Meschede où il y eu 20 cas et alors que le gouvernement s’apprêtait à vacciner au moins 200 000 personnes ( [6] p. 44) :

– «Sur la première chaîne de télévision publique allemande, (ARD) à l’émission Report,  j’ai lancé un avertissement contre ces vaccinations. A la fin du reportage, j’ai dit que l’élève infirmière Barbara Berndt, 17 ans, n’était pas décédée suite à la variole mais suite à la vaccination antivariolique administrée peu de temps avant. »

Cette élève infirmière avait été vaccinée de façon obligatoire deux fois auparavant puis elle avait reçu une nouvelle vaccination le 16 ou 17 janvier après la déclaration d’un foyer de variole dans l’hôpital de Meschede. Elle décédera le 29 janvier 1970, d’une variole hémorragique 12 jours après cette vaccination. G. Buchwald décrit dans son livre les cas de quatre femmes qui moururent en Allemagne de variole hémorragique peu de temps après avoir reçu une vaccination à l’occasion d’une importation de variole.

Toutes avaient reçu deux vaccinations antivarioliques auparavant et les délais écoulés entre la dernière vaccination et les décès sont entre 10 et 14 jours. La détermination et la lucidité de ce médecin m’ont conduit à proposer de nommer « effets Buchwald » le phénomène qu’il avait bien identifié même si cela était déjà connu un siècle auparavant comme on le verra.

Premier effet Buchwald : chez une personne non immunisée, la vaccination pendant la période d’incubation ou  quelques jours auparavant aggravera la maladie. Collectivement, cet effet se manifestera par un accroissement des formes graves et de la mortalité chez les malades (létalité).

Second effet Buchwald : chez une personne immunisée (par une ancienne vaccination ou une ancienne variole) la même vaccination déclenchera la maladie qu’elle aurait sinon évitée. Collectivement cet effet se manifestera par une amplification des épidémies.

Il devient alors possible d’énoncer le théorème de Buchwald :

Après l’importation d’un cas, la vaccination des vrais contacts avec un vaccin doté du second effet Buchwald déclenchera des épidémies dans des populations même immunisées à 100 %.

La démonstration est immédiate :  Dans une population ayant été immunisée à 100 % par une vaccination, s’il s’y produit une importation de la maladie, ce cas contaminant par exemple 10 personnes immunisées: Si on ne fait rien, l’affaire n’ira pas plus loin. Par contre, si on vaccine ces 10 vrais contacts avec un vaccin doté du second effet Buchwald, ils tomberont tous malades. Ces nouveaux malades pourront à leur tour contaminer d’autres personnes immunisées mais qui tomberont malades si on les vaccine à ce moment là. On pourra ainsi avoir une épidémie dans une population pourtant immunisée à 100 %.

Application pratique

L’observation de formes graves chez des personnes récemment vaccinées alors qu’on pouvait penser qu’elles avaient été immunisées auparavant par la maladie ou par d’anciennes vaccinations, devrait faire penser que le vaccin pourrait être doté des effets Buchwald.

La démarche scientifique ne consiste pas, contrairement à une croyance trop répandue, à chercher à démontrer qu’un vaccin comme le vaccin antivariolique serait doté des effets Buchwald. Non, la démarche scientifique fonctionne en sens inverse : on recherche si cette hypothèse permettrait d’expliquer des faits observés. En l’absence d’une autre hypothèse explicative, il pourra y avoir un consensus scientifique en faveur de la véracité de cette hypothèse. Voici quelques uns de ces faits.

Épidémie de Vannes, 1954-1955

Cette épidémie  a été décrite en détails  par un acteur de la lutte contre celle-ci [7].  Le Dr Guy Grosse, responsable de la lutte contre l’épidémie et qui avait été vacciné plusieurs fois auparavant, sera  »revacciné par prudence » le 3 janvier 1955. Il sera hospitalisé pour variole 14 jours plus tard pour décéder le 24 janvier de la forme la plus grave de la maladie, la variole hémorragique appelée autrefois variole noire. Son confrère André Amphoux, non revacciné à cette occasion  fera une variole qualifiée  »des plus frustres et larvée ».

Selon la note 10, – « Il a été recensé 11 médecins atteints de variole en Bretagne. Tous sauf le Docteur Grosse ont fait des varioles pauci-éruptives ou anéruptives sans symptômes de gravité. Le Docteur Poulain, médecin-chef de la Sécurité Sociale avait fait une forme bénigne selon le témoignage du Docteur Vicat, comme le Docteur Morat son cas était passé quasi inaperçu »

Enterrement du Docteur Guy Grosse, décédé le 24 janvier 1955 de l’épidémie. (©Christophe Cocherie/Paris Match)

D’après le descriptif donné, il semble que Guy Grosse  fut le seul de ces 11 médecins à avoir été vacciné « à chaud ».

Ce cas dramatique frappant un médecin  » victime de son devoir, cité à l’ordre de la Nation par le président du Conseil des Ministres Pierre Mendès-France et fait Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume le 27 janvier »  pourrait s’expliquer par les effets Buchwald. Il n’est pas interdit de penser que s’il n’avait pas été revacciné par prudence, il aurait pu ne faire, comme ses dix autres confrères, qu’une forme bénigne de la variole.

Variole à  Sumatra, 1966

Voici une expérience très intéressante qui s’est déroulée à Sumatra en 1966. Elle a été étudiée par le médecin allemand  E.W. Diehl,  médecin  chef de l’hôpital Goodyear à Dolk Mérangir [8].

A Sumatra, la première vaccination a lieu à partir de l’âge de 5 mois  avec un rappel tous les ans. « Début novembre 1966, il avait été procédé à la vaccination annuelle de routine » écrit-il en notant que  » Six cas bénins de variole au cours du mois de novembre, présentant tous des cicatrices vaccinales, furent admis au service d’isolement de l’hôpital« . Il pense que la variole a pu être introduite par des planteurs venus de Java « où les épidémies de variole sont quotidiennes malgré des vaccinations ininterrompues« .

Il y eut 5 nouveaux cas hospitalisés en décembre 1966 ainsi qu’en janvier 1967. Mais lorsqu’en février et mars le nombre de cas augmenta avec des formes mortelles, Diehl ordonna  une nouvelle vaccination de toute la population du secteur dont il avait la charge. Jusqu’au moment de cette vaccination il y avait eu 103 cas dont 5 mortels. Après, il y eut 41 cas en avril puis 57 en mai 1967. Avec 16  cas dont 5 mortels en août, Diehl alerta le gouvernement. Les experts firent de nombreuses inspections avec des moyens techniques importants. Ils attribuèrent l’échec de la vaccination « à une technique de vaccination défectueuse et à un vaccin inactif ». Il fut ordonné une nouvelle campagne de vaccination avec un vaccin super-actif. Le Docteur Diehl, devenu sceptique, mit en garde contre cette nouvelle vaccination :

«  Bien qu’en raison de mon expérience avec la première vaccination, j’eusse émis de sérieuses réserves, je ne pouvais pas, vis-à-vis des quelques 24 000 ouvriers de plantation dont j’avais la charge, m’opposer à cette vaccination imposée par le gouvernement et je devais laisser les choses aller à leur destin ».

La nouvelle vaccination fut effectuée début septembre 1967.  En l’espace de 15 jours, 28 000 ouvriers et leurs familles furent vaccinés. Il y eut 43 nouveaux cas de variole en septembre dont 6 mortels. Au cours des 12 mois qui suivirent, 209 personnes furent atteintes, toutes vaccinées et dont 60 % avaient réagi  à la vaccination. Après cet épisode, plus rien ne fut entrepris contre la variole à l’exception de l’isolement et du traitement des malades. Il n’y eut plus de cas mortels et l’épidémie s’éteindra en 1969. Diehl insistera aussi sur le fait qu’il n’avait pas remarqué de différences dans le déroulement de la maladie entre ceux qui avaient été vaccinés avec succès et les autres vaccinés, concluant ainsi son rapport :

– «La vaccination ne procure certainement aucune protection contre la maladie et ne protège vraisemblablement pas contre la mort … que tout semble indiquer que les cas mortels survenus immédiatement après la deuxième revaccination sont de véritables cas d’accidents post-vaccinaux ».

Autrement dit, le Docteur Diehl valide ce que je propose d’appeler les effets Buchwald. Avec cette restriction importante cependant : leur reconnaissance ne permet pas d’affirmer que la vaccination n’aurait aucune efficacité en toutes circonstances. C’est là où il faut introduire un conditionnel commun à tous les énoncés scientifiques : dans telles conditions il se passe ceci et dans telles autres il se produit cela.

Force est de constater que pour les vaccinations les affirmations sont systématiquement de la forme « le vaccin est efficace » ou « le vaccin n’est pas efficace » et ce sans aucune mention de conditions ni de précisions sur la signification du terme efficace.

Modélisation du second effet Buchwald

Voici une modélisation mathématique que j’avais construite en 1978 et qui permet d’expliquer l’épidémie de Sumatra.

Hypothèses : 75 % de la population est immunisée et chaque malade contamine 4 personnes dont 3 sur 4 sont immunisées. Ainsi, chaque malade génère un nouveau malade. L’épidémie sera stable avec 100 cas par mois (première partie de la courbe verte). Au quatrième mois, on réalise une vaccination qui, un mois plus tard, élèvera l’immunité de la population à 80 %. La courbe jaune montre ce qui se produirait en l’absence du second effet Buchwald : l’épidémie va régresser pour s’évanouir vers le mois 15.

Variole, modèle mathématique: Nombre de malades en fonction de la fréquence des rappels vaccinaux sur 15 mois d’évolution

Mais si le vaccin est doté du second effet Buchwald et que les 400 contaminés par les 100 cas en cours ont été vacciné « à chaud », l’évolution de l’épidémie sera très différente. En effet, ces 400 contaminés tomberont tous malades alors que sans leur vaccination il n’y en aurait eu que 100. C’est le mois 5 de la courbe verte.  Si on ne fait plus rien ensuite, l’immunité globale étant montée à 80 % grâce à cette vaccination, elle va régresser comme le montre la courbe verte pour pratiquement s’éteindre après le mois 15 : les 400 malades au mois 5 contamineront 1600 personnes dont 20 % tomberont malades, soit 320 etc …

Influence des rappels vaccinaux et de leurs espacements temporels

Si on fait un rappel au mois 10 alors que le nombre de cas est inférieur à 100 qui était la valeur de base, le second effet Buchwald provoquera à nouveau une flambée mais moins importante que la première puisque le nombre de contaminés sera inférieur à 400.

Ainsi, si les rappels sont suffisamment espacés pour être réalisé après  que le nombre de cas soit devenu inférieur à ce qu’il était au moment du rappel précédent, l’épidémie régressera par bonds successifs pour en principe disparaître. C’est la courbe rouge.

Par contre si on fait une succession de rappels alors que le nombre de cas est  supérieur au nombre de cas au moment de la vaccination précédente, l’épidémie progressera par bonds successifs.

On voit ainsi, par cette modélisation simple,  qu’un même vaccin doté du second effet Buchwald peut avoir des effets opposés selon les conditions de son utilisation, en particulier l’espacement des rappels. Il se définit ainsi une durée critique correspondant au délai nécessaire pour revenir en dessous du niveau atteint à la vaccination précédente.

Effets d’une vaccination fractionnée

Le plus souvent, dans le cadre d’une vaccination dite de masse, on vaccine une population par fractions, par exemple 10 % chaque mois. L’impact du second effet Buchwald se manifestera par un accroissement plus modéré de l’épidémie. Mais la succession rapprochée de la vaccination par fraction va avoir le même effet que des rappels très rapprochés mais en plus modéré.

Si on arrête de vacciner au bout de 10 mois, après avoir vacciné toute la population, l’épidémie va régresser pour en principe s’évanouir.

Par contre si, constatant que l’épidémie n’a pas régressé, on insiste en revaccinant la population comme  cela se produisait souvent, alors l’effet Buchwald maintiendra l’épidémie malgré l’élévation de l’immunité globale.

Cette modélisation permet aussi de réaliser que pour bénéficier de l’augmentation de l’immunité globale obtenue par la vaccination il faut cesser de vacciner pour mettre fin aux effets Buchwald et profiter de l’accroissement de l’immunité obtenue par la vaccination.

C’est ce qui a pu se produire après 1967 dans la zone de Sumatra observée par le Dr Diehl. On ne peut exclure que la vaccination aurait ainsi contribué à vaincre l’épidémie après l’avoir amplifiée. Il faut bien comprendre que dans ces conditions, l’arrêt de la vaccination était nécessaire pour en recueillir les fruits d’ailleurs chèrement payés par la population. Là où l’on poursuivait la vaccination en raison de l’échec constaté, les épidémies se maintenaient.

Importance d’une modélisation consciente et mathématisée

Il y a eu à Sumatra comme ailleurs une incompréhension totale de la part des experts. Pour interpréter des données il faut toujours une référence. Si elle n’est pas explicitée, mathématisée, ce sera la référence préconçue : le vaccin est efficace, plus on vaccinera et plus l’épidémie régressera. Si ce n’est pas ce qui est observé alors c’est que le vaccin était mal fabriqué ou mal conservé et que les vaccinateurs ne savaient pas vacciner correctement.

Au cours de cette campagne de vaccination, les experts se sont montrés incapable de remettre en cause leur modèle préconçu. Ce fonctionnement est malheureusement très répandu et d’abord au plus haut niveau de la santé publique, ce qui fut et reste aujourd’hui encore catastrophique.

Mais ce sont les populations qui paient  et de plusieurs façons, jamais les experts …

Les effets Buchwald, France, 1870

Voici des faits historiques qui illustrent cela. En 1870, avant le début de la guerre et à la demande du préfet de Paris, une Commission du Conseil de Salubrité (rapporteur  Delpech) décrit la situation à Paris. Daté du 22 juillet 1870, le rapport fut publié dans les Annales d’hygiène publique et de médecine légale [9] :

– « L’épidémie de variole qui sévit en ce moment à Paris n’a pas éclaté tout-à-coup…..Voilà plusieurs années qu’elle se prépare. Ainsi le chiffre de la mortalité qui n’était en 1860 que de 328 s’est élevé à 740 en 1865, 615 en 1866, à 655 en 1868, à 725 en 1869. »

En fait, la variole va flamber à Paris avant le début de la guerre de 1870 qui va ensuite l’exacerber. Les nombres de décès rapportés  l’attestent puisque la France avait déclaré la guerre à l’Allemagne le 19 juillet 1870.

Décès par variole à Paris en 1870

janvier février Mars avril mai Juin juillet août septembre octobre
174 293 406 561 786 866 983 697 741 1381

 

Pierre DARMON, dans sa thèse pour devenir historien de la médecine [10], confirme (p. 358) à partir du même document d’ailleurs :

– «  Dès 1864 le nombre annuel de décès se trouve emporté dans un tourbillon…/… Durant les six premier mois de 1870, c’est à dire avant même que ne commencent les hostilités, la petite vérole frappe de façon effrayante : 4000 décès signalés dans la capitale. Invité par le préfet à se prononcer sur les causes de l’exacerbation épidémique, le Conseil de salubrité constitue une commission... »

Le rapport Delpech se poursuit ainsi :

– « On avait tort, sans contredit, de demander à la vaccine de mieux protéger de la variole que la variole elle-même, que l’on voit assez fréquemment encore, et tout particulièrement en ce moment, se reproduire une seconde fois chez ceux qui en ont été atteints une première. Dans le nombre immense des individus vaccinés, les exceptions sont devenues peu à peu plus fréquentes, et l’on a vu même de graves épidémies se manifester. »

Le rapport parle alors très explicitement de la vaccination des vrais contacts en évoquant

 – « Cette singulière opinion que, dans les temps d’épidémie, la vaccine développe la variole . Cette opinion a été corroborée à tort dans leur esprit par le fait d’individus vaccinés ou revaccinés alors qu’ils avaient déjà contracté la variole dont l’incubation dure douze jours et chez lesquels, comme cela arrive constamment, la maladie ne s’en développait pas moins à son heure régulière. »

Le rapport affirme donc ici que cette vaccination pratiquée dans ces conditions ne se montrait pas protectrice. Par contre :

– « On peut affirmer sans hésiter que la crainte de voir la variole se communiquer par la vaccine ou sous son influence n’a aucune raison d’être et ne peut être sérieusement défendue. »

Le Conseil de Salubrité conclut ainsi son rapport à l’adresse du Préfet de Paris :

– « Le Conseil de Salubrité a l’honneur de soumettre les conclusions suivantes : Les reproches faits à la vaccine sont injustes de tout point. Elle n’a perdu d’aucune façon sa puissance de préservation de la variole. La vaccine ne favorise en aucune façon le développement de la variole. Le seul moyen de mettre fin aux épidémies de cette maladie est au contraire, de pratiquer le plus grand nombre possible de vaccinations et de revaccinations pendant leur durée…/.. Pendant les épidémies graves il faut revacciner en masse…/… Il y aurait lieu d’examiner dans quelle mesure la législation pourrait intervenir pour imposer la vaccine. On ne saurait trop recommander aux familles dans lesquelles il s’est développé un cas de variole, de faire revacciner sans exception toutes les personnes placées dans le voisinage du malade. »

Nous constatons que la revaccination systématique de tous les contacts, y compris les anciens varioleux, était  très explicitement recommandée en France dès 1870 et son obligation  vivement souhaitée. Par ailleurs, un autre expert, le Dr Jules Bouteiller qui était, entre-autres, Président de la Société de Médecine de Rouen et médecin en chef des épidémies, présentera au  congrès médical de Lyon, en 1872, un mémoire sur les épidémies de variole qui venaient de ravager la France [11]. Pour lui, la cause fatale de l’épidémie de 1870-1871 fut  ce qu’on appelait à l’époque le génie épidémique. Il reconnaît aussi que la variole frappait indistinctement les vaccinés et les non vaccinés. Puis il parle de la vaccination des personnes contacts :

Dr J. Bouteiller, extrait original

 

On peut au moins  déduire de tous ces propos que l’amplification et l’aggravation des épidémies au décours d’une vaccination était observée suffisamment souvent pour que la responsabilité de la vaccination soit sur la place publique, contraignant  les experts à prendre position.

Bouteiller parle aussi de l’isolement des malades dans des maisons particulières et des établissements hospitaliers, attestant que cette mesure n’était pas nouvelle quand elle fut promue près d’un siècle plus tard en raison de l’échec des campagnes de vaccination de masse.

 

Premières conclusions

Donald Henderson, le directeur du programme d’éradication à l’OMS  considéré comme l’homme qui a terrassé la variole, reconnaissait en 1999 l’existence de succès mais aussi de désastres. Comment serait-il possible qu’un même vaccin puisse tantôt conduire à des succès et  tantôt provoquer des désastres ? Il faut reconnaître que l’hypothèse que le vaccin antivariolique utilisé était doté des effets Buchwald paraît expliquer les faits observés depuis longtemps sans pour autant s’opposer à une absence d’efficacité de la vaccination quand celle-ci était réalisée à une distance de temps suffisante avant la contamination.

Dans un prochain article, nous verrons  que ce qu’avait décrit le Dr Diehl dès 1969 sur une population limitée, se produisait aussi à grande échelle, en particulier en Inde en 1973 et 1974 qui fut qualifiée d’année noire pour la variole en Inde.

Bernard Guennebaud,
Mai 2020

 

Addenda, NDLR (Dr V. Reliquet)
Ce que Bernard Guennebaud ne vous dira pas c’est que ses conclusions concernant les deux effets qu’il a nommé « de Buchwald » ont fait l’objet d’un article qui fut proposé au bimensuel « Le technicien biologiste », et accepté par sa directrice en Juin… 1978. Le comité de lecture étant constitué de médecins dépendants de l’Institut Pasteur et la critique rétrospective ne faisant pas réellement partie de la culture de cette entreprise cet article fut bloqué à leur niveau et ne parut donc jamais. On peut facilement par ailleurs retrouver le support visuel d’un cours dispensé par Patrick Zylberman (EHESP, Rennes, USPC) le 15/04/2014 dans un cycle de formation destiné à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique à propos de l’épidémie de variole vannetaise de 1955, ici:
https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/medias/enseignement/seminaires_desc/2014/2014-DESC-Vannes1955.pdf
On conseille vivement à tous les amoureux de l’histoire contemporaine de prendre connaissance de ces 23 diapositives, extrayons-en rapidement quatre. On rappelle que le « patient zéro » fut assez rapidement identifié, il s’agissait d’un sergent parachutiste basé en Extrême-Orient, vacciné contre la variole évidemment, qui eut la très mauvaise idée de rapporter à l’un de ses enfants un pyjama asiatique d’occasion, non lavé et initialement porté par un enfant varioleux. L’épidémie débute par son propre bébé le 08/12/1954 pour se propager rapidement à d’autres enfants de Vannes, le diagnostic initial retenu au départ fut: Varicelle. La variole fut authentifié le 04/01/1955, la vaccination obligatoire de l’ensemble du pays vannetais débuta deux jours plus tard et on estime que 60% de la population fut vaccinée (ou revaccinée) en deux jours quels que soient les vaccinations précédentes et les contages en cours possibles. Les conclusions de Bernard quant aux effets Buchwald semble apparaître clairement ici, toujours non suspectées par notre Professeur de Santé Publique en 2014:

Diapo n°5

On notera avec intérêt avec quelle détermination à l’époque on insistait encore sur cette triple pratique incontournable qui associait vaccination de masse, isolement des malades et vaccination absolument systématique et obligatoire de tous les contacts quels que soient leurs statuts antérieurs:

Diapo n°14

Mention est faite d’une résistance croissante à la vaccination anti-variolique (c’est la page « anti-vaccin » du cours, c’est libellé en toutes lettres) comme en témoigne cette lettre touchante émanant d’un bourrelier à l’orthographe impeccable, qui souhaitait protéger ses filles du vaccin et s’extraire à l’obligation légale:

Diapo n°21

Enfin le rapport bénéfice sur risque de la vaccination anti-variolique clôturera cet exposé pour lui démontrer un « rendement » proprement abominable. La rigidité pro-vaccinale française trouvera ici un nouvel exemple édifiant, sept ans de vaccination supplémentaire par rapport aux USA pour qu’enfin on en abandonne aussi la pratique. On repense au BCG, toujours proposé en France et pourtant jamais instauré aux USA. Le message de fin, reconquérir l’opinion, vaste programme.

Diapo n°23

En ces temps de Covid-19 on ne peut qu’être frappé par ses analogies possibles et évidentes avec la variole (confinement, impact économique, peur, affolement médiatique, attitudes des gouvernements…). Mentionnons enfin toute la richesse scientifique que peut apporter une association comme l’AIMSIB où la transversalité du savoir de ses membres autorise une profusion de réflexions nouvelles qui éventuellement se croisent, ainsi les « effets Buchwald » d’un mathématicien pourraient-ils s’apparenter aux « effets anti-corps facilitateurs » voire aux « effets OAS » actuellement décrits par nos micro-biologistes. Ainsi se construit pas à pas et péniblement la Médecine scientifique que défend et veut promouvoir l’AIMSIB…

 

 

Notes et sources:
[1]https://www.aimsib.org/2019/12/22/eradication-de-la-variole-les-grandes-manoeuvres-ont-commence/
[2]  Henderson  1999 «  Eradication : Lessons From the Past », MMWR, vol. 48, supplément, 31/12/1999  https://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/su48a6.htm
[3] Henderson 2008  https://www.who.int/bulletin/volumes/86/12/08-041208.pdf?ua=1
[4]   Comité indépendant OMS sur « analyse scientifique de la recherche sur le virus variolique – 1999-2010 »
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/70609/WHO_HSE_GAR_BDP_2010.3_fre.pdf?sequence=1
[5] http://www9.who.int/bulletin/volumes/86/12/08-041208/en/
[6]  Le marché de l’angoisse par G. Buchwald http://s175833897.onlinehome.fr/librairie/livres
[7]  « Une épidémie de variole en Bretagne 1954-1955  »   François Gourselas, https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx2004x038x001/HSMx2004x038x001x0099.pdf
[8] Rapport sur une épidémie de variole dans la province Nord de Sumatra. In die Médizinische Welt n°17/ 28/04/1969 p.1012. Rapporté dans ‘’Les vaccinations n’ont pas fait régresser les épidémies » F. et S. Delarue  LNPLV 1985
[9] Rapport Delpech  Rechercher les pages 211 à 225 http://www2.biusante.parisdescartes.fr/livanc/?p=3&cote=90141x1871x35&do=pages
[10] « La longue traque de la variole » Thèse de Pierre Darmon Chez Perrin 1985
[11]  Archives nationales  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54513154.r=congr%C3%A8s%20m%C3%A9dical%20Lyon%201872%20%20Bouteiller%20Variole?rk=21459;

Crédit photo : Peinture de Robert Thom illustrant l’introduction du vaccin par Edward Jenner. | Robert Thom/University of Michigan

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