2. Le point de vue du médecin généraliste

Dr Vincent Reliquet, membre du comité médical de l’AIMSIB

 

           Voilà une question qui peut résonner douloureusement dans l’esprit d’un médecin prescripteur; « Ai-je, par le seul objet de mon ordonnance, pu créer plus de désordre que de bénéfice dans la vie de mon patient »?

le B.A BA de la réflexion originelle d’Hyppocrate et de son « Primum non nocere ». Le coeur secret de toutes les médecines bienveillantes aussi, qui tant nous ronge.

Les années 1990 nous paraissent loin aujourd’hui, effectivement elles le sont parce que quinze ans plus tard l’expression critique portée par internet permet (en théorie) de contrebalancer tous les messages les plus fallacieux.

Mais en ces temps-là, l’information médicale ne se véhiculait que de trois façons;

  • Par la Belle Visiteuse Médicale des Firmes (BVMF), que personne n’aurait osé reprendre sur son argumentaire développé à coups de beaux dépliants glacés et de jupes parfaitement fendues, mais pourquoi nous taisions-nous?
  • Par la réunion confraternelle au restaurant chic organisé par la même BVMF, montée généralement autour du ponte local ayant par le plus grand des hasards fortement matière à disserter sur le sujet proposé par la dame et qui ne tarissait naturellement pas d’éloge sur la molécule du jour. 

(Certes, ledit ponte local comme le généraliste du coin pouvaient se retrouver au restaurant la semaine suivante avec une autre BVMF, mais si la molécule différait, une chose ne changeait pas, c’était l’éloge intarissable du ponte quant au nouveau produit du jour, mais pourquoi trouvions-nous cela si drôle)?

  • Par les journaux médicaux tous gratuits que chaque Confrère pouvait trouver dans son courrier du matin et qui récitaient eux aussi les mêmes dithyrambiques commentaires que les deux premiers intervenants, sans jamais un mot de critique ni de prudence, probablement parce que la profusion des publicités de firmes ne laissaient plus d’espace pour l’écriture indépendante, mais pourquoi ne doutions-nous pas?

 

C’est dans cette ambiance de science éteinte et de médecine  minable que nous avons tous accueilli le miracle de l’apparition des statines en 1994 suite à une étude de chez Merck, imaginé la transformation supposée radicale des pronostics de survie promise à toute une population déjà artéritique et malade (prévention secondaire) voire juste en voie de le forcément devenir (prévention primaire).

Aucun contre-pouvoir, avant Internet il était impossible de se forger une opinion contraire à la doxa ambiante.

Mon premier doute quant à la toxicité musculaire des statines m’est venu le jour où un de mes patients mis sous traitement depuis peu est venu se plaindre que progressivement sa fatigue devenait telle qu’il ne pouvait même plus signer correctement ses chèques!

Un autre me valut un coup de téléphone horrifié du biologiste de ma ville, j’avais demandé un dosage d’enzymes musculaires chez ce casse-pied qui alléguait des crampes féroces et son dosage revenait cent fois supérieur à la norme, pire, sa sous-fraction myocardique acronymement dénommée CPK-MB avait suivi le même chemin! J’ai fait hospitaliser ce malheureux par le SAMU dans la minute tellement la probabilité qu’il souffre d’un infarctus massif était … incompréhensible mais finalement possible. 

Vous l’avez compris. Une admission aux Urgences pour rien.

Et puis un jour de 2006 une bonne partie de ma confiance dans le système actuel a volé en éclat parce que je suis tombé sur un tiré-à-part destiné aux seuls cardiologues et qui annonçait fièrement ceci:

Tableau 1 : SPARCL, 2006, Merck, Atorvastatine 80 versus placébo…

Vous avez bien lu, une dose octuple d’ Atorvastatine était annoncée par sa propre firme de production comme occasionnant moins de douleurs musculaires qu’un banal placebo! 

A la limite, nous aurions dû prescrire de l’Atorvastatine à haute dose pour traiter tous nos patients souffrant de crampes nocturnes!

La messe était dite, on mentait massivement aux médecins prescripteurs dans le but de faire exploser leurs ordonnances de statines, mais le dilemme était sans fin. S’il paraissait à tous que cette molécule apportait un bénéfice réel en terme de survie, mais alors à qui la réserver et à quelles doses puisque nos prescriptions étaient partout sur-encouragées?

Naturellement, en 2017, rencontrer Michel de Lorgeril simplifie considérablement le raisonnement! Merci Internet! Merci Michel!

Aujourd’hui, mon exercice professionnel ayant lentement dérivé vers la gestion de la douleur arthro-musculaire chronique, je suis de plus en confronté à des patients harassés, multi-médicamentés, parfois du coup réellement déprimés et traités comme tels, en échecs diagnostics et thérapeutiques, juste parce qu’une statine est venue leurs gâcher l’existence. 

Tout se passe comme si jamais personne, nul généraliste, neurologue ou rhumatologue ne puisse se mettre en capacité d’imaginer, ne serait-ce même qu’en position d’effleurer l’idée qu’une banale origine iatrogène soit seule à l’origine du calvaire vécu par nos si … patients consultants.

 

Bref, pour paraphraser, le monde des consommateurs de statines se divise en trois catégories;

1- Ceux qui déclenchent très vite des douleurs et/ou une fatigue abominable, ils incrimineront immédiatement la molécule introduite depuis peu et après quelques essais infructueux de changements de produits puis de moindres dosages abandonneront définitivement le traitement avec l’assentiment de toute la communauté médicale; Ils compteront parmi les plus chanceux car ils se débarrasseront très vite de ce poison et ne se verront jamais reprocher quoi que ce soit par leurs médecins. Attention, ils ne seront pas débarrassés des marchands du Temple, les anti-PSK-9 injectables seront leurs prochains ennemis!

2- Ceux qui s’enfonceront lentement dans la douleur et/ou l’asthénie, qui restreindront toujours plus leurs activités physiques jusqu’à l’éteindre complètement, leurs plaintes seront classées liées à l’âge et à la senescence, jamais prises en compte sauf par adjonction d’antalgiques voire d’anti-dépresseurs. Trois mois d’arrêt des statines en test thérapeutique représente la seule issue possible pour ces pauvres gens qui généralement n’osent jamais l’entreprendre seuls (mon Cholestérol, mon cœur, que va dire mon Docteur…) en espérant qu’une amélioration se dessine car comme pour tout poison parfois la guérison complète est illusoire.

3- Ceux qui ne ressentent rien et qui vaquent à leurs occupations de manière apparemment identique. Les plus chanceux pas sûr car ceux-là ne verront jamais l’occasion d’interrompre leurs traitements (pourquoi voulez-vous arrêter votre statine puisque vous la supportez si bien…) et se dirigeront tout droit vers des complications dramatiques différentes, mais ne déflorons pas les sujets à venir…

Comme qui dirait cinquante nuances de complications des statines?

Voir aussi : l’article sur Grégory Pamart

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