Dans la vie, il faut de la constance. Si l’on veut convaincre la population d’un mensonge énorme il faut le répéter souvent et sur tous les tons. Pour clore le bec à des grincheux genre le Vigilant il est nécessaire aussi de se faire publier dans une grande revue internationale, et là on est bien. Ça suffit pour fabriquer une vérité à partir d’un tissu de crétineries? Presque! Bonne lecture. 

 

Résumé

  • On passe en revue la dernière étude médiatisée sur les liens entre vaccins et sclérose en plaque
  • On montre que cette dernière, en raison de sa méthodologie indigente, n’a strictement aucun rapport avec la seule question pertinente à poser : « un vaccin est-il associé à un sur-risque de SEP chez un sujet en parfaite santé ? »
  • On se demande comment des revues autrefois respectables peuvent en arriver à publier des travaux aussi médiocres.

 

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Début août 2019 nous avons eu à nouveau une belle campagne de propagande sur cette histoire de sclérose en plaque et de vaccin(s).

le Point, Santé Magazine, le Figaro, Doctissimo, Ouest-France, Pourquoi Docteur et surtout Atlantico ; ce dernier article remportant probablement la palme du n’importe quoi pourtant proféré par un hospitalo-universitaire qui ne connaît même pas l’historique du dossier. L’article ci-dessous propose une lecture critique de cette publication (on ose pas qualifier ça d’étude)

Le principe du GIGO

Nous vous avions déjà expliqué le principe du GIGO dans la critique de l’étude de Ramagopalan :

Le GIGO (Garbage In Garbage Out) consiste en gros à inonder la littérature scientifique d’études de merde de très faible crédibilité afin de fabriquer artificiellement un consensus.

Le corollaire qui en découle est qu’il faut lire en détail toutes les études (et pas seulement lire le résumé comme le font tous les bons à rien d’experts subventionnés) puisqu’on ne peut plus faire confiance aux revues systématiques ni aux méta-analyses (surtout que par effet de puissance, plus une étude médiocre sera faite sur un grand nombre de sujets, plus elle aura de poids dans la méta-analyse).

Le principe en général est que plus une étude est médiatisée, plus elle risque d’être merdique de très faible crédibilité. Cette publication en est un cas d’école.

L’éditorial de Neurology

L’édito de Neurology nous explique que la peur des effets indésirables liés aux vaccins est en gros le résultat de fake news à base d’études mal conçues, inadaptées voire falsifiées.

– « this fear of vaccination has been fueled by poorly designed, inaccurate, or even fraudulent studies linking vaccinations to adverse outcomes ».

Trad: Cette peur de la vaccination a été alimentée par des études mal conçues, inexactes, voire frauduleuses, liant les vaccinations à des effets indésirables.

Il faut quand même rappeler que l’étude de Hernan (qui est de loin la meilleure d’un point de vue méthodologique et de qualité du dataset – nous vous la présenterons en détail plus tard) ayant trouvé un risque à 3,1 statistiquement significatif a été publiée dans ce journal

Il faut aussi rappeler que l’inscription du risque de SEP dans la notice du vaccin Engerix© est venue d’une demande du fabricant via sa maison-mère internationale et que les premiers case-reports sont antérieurs à toute campagne de vaccination de masse et de médiatisation du sujet.

Il est de plus comique de critiquer les faiblesses méthodologiques des études inquiétantes alors que l’étude présentée ici (qui est très rassurante) est sans doute un des plus gros déchets jamais produit sur le sujet.

Nous invitons les lecteurs à lire l’éditorial en entier pour mesurer le niveau de médiocrité qui a donc atteint même les journaux réputés respectables…

La publication allemande de Juillet 2019

L’étude de Hemmer

C’est une gigantesque étude cas-témoins [1] (c’est à dire qu’on compare les taux d’exposition aux vaccins concernés chez des gens atteints de SEP et des gens non atteints) faite en Bavière sur 12,000 cas et 210,000 témoins ! ça en jette ! (quand le seul argument est la quantité…)

Déjà des études réalisées sur registre sur des centaines de milliers de sujets, on s’attendrait à des cohortes, là ce n’est pas le cas. Première aberration d’une longue série…

Le protocole de l’étude

C’est une étude faite sur registre [2] qui considère les vaccinations reçues dans les 5 ans avant le diagnostic de SEP.

– « We defined a cohort of patients with new-onset MS with at least 2 secured ICD-10 diagnoses G35 in separate quarterly period ».

Trad: Nous avons défini une cohorte de patients atteints de SEP d’apparition récente avec au moins 2 diagnostics sécurisés CIM-10 G35 au cours de périodes trimestrielles distinctes.

C’est très étrange : ils semblent avoir conservé les anciens critères de diagnostics de 1983 [3] (critères de Poser) qui nécessitaient 2 poussées si on considère qu’on fait un et un seul diagnostic à chaque poussée, alors que les critères de Mc Donald (introduits en 2001 et révisés plusieurs fois depuis) ne nécessitent plus qu’une seule poussée clinique si elle est confirmée par IRM. C’est peut-être pour « sécuriser » la fiabilité du diagnostic (ce n’est pas discuté dans l’article – peut-être que des sujets n’ayant qu’un seul diagnostic de SEP dans le registre ne sont pas en fait atteint de SEP mais d’autre chose) puisqu’aucun dossier médical n’a été revu mais ils viennent de sortir tous les sujets de l’étude atteints de SEP qui n’ont fait qu’une seule poussée démyélinisante et qui n’ont donc qu’une seule entrée dans le registre.

– « … and 2 control cohorts of participants diagnosed with other autoimmune diseases, Crohn disease and psoriasis, using the ICD-10 diagnoses K50 and L40 in the same manner, respectively. Inclusion of these control cohorts into the analysis enables the identification of effects that are specific to MS and are not shared by other autoimmune diseases ».

Trad: … et 2 cohortes de contrôles diagnostiqués avec d’autres maladies auto-immunes, la maladie de Crohn et le psoriasis, en utilisant les diagnostics ICD-10 K50 et L40 de la même manière, respectivement. L’inclusion de ces cohortes de contrôle dans l’analyse permet d’identifier les effets spécifiques à la SEP et qui ne sont pas partagés par d’autres maladies auto-immunes.

Comme ils n’ont aucune info sur les éventuels cofacteurs, ils sont allé chercher des groupes témoins souffrant de maladies auto-immunes (Crohn et psoriasis) pour tenter de neutraliser les éventuels co-facteurs communs à la SEP et ces 2 maladies. Cela n’a absolument aucun sens : rien n’indique qu’il y ait des co-facteurs communs entre Crohn/pso et SEP, et on ne comprend pas bien pourquoi choisir ces deux maladies là et pas les autres (quid des sujets atteints de polyarthrite rhumatoïde ou d’autres MAI ?) puisque ce choix n’est jamais justifié.

– « Participants in the MS cohort were further required to have a recorded visit with a neurologist at any time and no ICD-10 diagnosis G04 — that is, no diagnosis of a clinically isolated syndrome (CIS) — before or after MS diagnosis. To enable sensitivity analyses, we defined 3 additional stricter and therefore more conservative definitions of the MS cohort. These required that there was no diagnosis of optic neuritis (ICD-10 H46) …/… »

Trad: Les participants à la cohorte de SEP devaient en outre avoir une visite enregistrée avec un neurologue à tout moment et aucun diagnostic de CIM-10 G04 – c’est-à-dire, aucun diagnostic de syndrome cliniquement isolé (CIS) – avant ou après le diagnostic de SEP. Pour permettre des analyses de sensibilité, nous avons défini 3 définitions supplémentaires plus strictes et donc plus conservatrices de la cohorte SEP. Ceux-ci exigeaient qu’il n’y ait pas eu de diagnostic de névrite optique (CIM-10 H46)

Cette partie là est fantastique : ils ont exclu de l’étude tous les sujets ayant fait des poussées démyélinisantes uniques avant d’être diagnostiqué de SEP ! (en cas de deuxième poussée après le diagnostic CIS de la première)

Ils ont aussi exclu dans les analyses stratifiées tous les sujets ayant développé une névrite optique avant leur SEP alors qu’il est généralement admis qu’environ 25% des SEP débutent par des névrites optiques ! (faudrait-il croire qu’une SEP ayant débuté par une névrite optique n’est pas une vraie SEP ?)

On résume : les sujets atteints de SEP et diagnostiqués SEP mais n’ayant qu’un seul diagnostic dans le registre sont exclus, les sujets ayant fait un CIS avant un diagnostic de SEP sont exclus, et pour les analyses stratifiées les sujets ayant un diagnostic de névrite optique avant un diagnostic de SEP… sont exclus aussi. Au total leurs critères ont exclu 18% des 15,046 sujets initialement enregistré avec un diagnostic de SEP, soit quasiment une personne sur cinq.

À ce stade, si vous trouvez l’étude nulle, vous n’avez encore rien vu… La plus grosse perle vous attend plus bas.

La qualité du registre

On nous explique que ce registre est de « haute qualité » sans que ce soit le moins du monde justifié par une quelconque référence ou audit (on se doute qu’ils ne vont pas nous dire qu’ils ont réalisé leur étude sur un registre de merde de faible crédibilité).

– « Another limitation is given by the data source itself. Entry errors and incorrect coding cannot be ruled out, even for databases with high-quality standards like the BASHIP database« .

Trad: Une autre limitation est fournie par la source de données elle-même. Des erreurs de saisie et un codage incorrect ne peuvent pas être exclus, même pour les bases de données avec des normes de haute qualité comme la base de données BASHIP.

Ce type d’étude est assez difficile à réaliser en fait car pour être très rigoureux, il faut vérifier que les non vaccinés le sont vraiment, et qu’ils n’ont pas été vaccinés via un moyen qui échappe à la capture dans le registre : vaccination en milieu professionnel ou scolaire, dans une autre région pour les gens mobiles (le registre reprend-il tout l’historique de vaccinations des sujets inclus ?) etc

Les résultats de l’étude

Tout va bien ! Il y a moins de SEP chez les vaccinés que chez les non vaccinés pour tous les vaccins ! (odds ratios < 1)

résultats

Le plus incroyable c’est maintenant

Cette étude cas-témoin évalue les vaccinations reçues dans les 5 années précédant le diagnostic, bon.

– « … observation of all participants in the 5 years prior to diagnosis. »

Trad: … suivi de tous les participants au cours des 5 années précédant le diagnostic.

Or la SEP étant une maladie pour laquelle le délai entre les premiers symptômes (peu spécifiques : fatigue, maux de tête, troubles de la vision… avant les symptômes plus évocateurs de troubles neurologiques : pertes d’équilibres, problèmes de coordination des membres) et le diagnostic peut être long voire très long (seuls les cas aiguës seront diagnostiqués rapidement), ils ont considéré dans l’étude des gens vaccinés APRES la survenue de la SEP !

Ils ont validé l’antécédence des vaccinations par rapport à la date de diagnostic mais pas par rapport à la date de survenue des premiers symptômes (ce qui est pourtant un standard en cas témoins et même le grand avantage de ces études par rapport aux cohortes rétrospectives faites sur bases informatiques).

L’intérêt du cas-témoins est justement d’avoir un nombre limité de sujet pour que l’étude soit peu onéreuse, rapide à réaliser et précise dans l’établissement de l’exposition comme de la date des premiers symptômes (revue des dossiers médicaux, interview des patients…). Ici ils n’ont ni les avantages du cas-témoins, ni les avantages de la cohorte.

Le plus incroyable est que les auteurs assument eux même le fait que dans la fenêtre temporelle étudiée, les sujets étaient déjà atteints de SEP !

– « Previous studies have reported altered behavior and an increased prevalence of neuropsychiatric symptoms up to 5 years before MS diagnosis, which might be related to an awareness of the participants of their disease even before the diagnosis is made…/… On that note, it has been assumed that the onset of disease might occur up to several years before the actual first diagnosis and that participants change their behavior along the course of the disease, even before the diagnosis is made. Similarly, increased levels of sick leave and disability pension have been reported for patients with MS even 15 years before first diagnosis of the disease. In this respect, disease burden may affect the lifestyle of a patient with MS long before it is diagnosed. In addition, higher rates of physician services utilization as compared to the general population have been observed at least 5 years before diagnosis ».

Trad: Des études antérieures ont signalé une modification du comportement et une augmentation de la prévalence des symptômes neuropsychiatriques jusqu’à 5 ans avant le diagnostic de SEP, ce qui pourrait être lié à une prise de conscience des participants de leur maladie avant même le diagnostic…/… Sur cette note, on a supposé que le début de la maladie pouvait survenir jusqu’à plusieurs années avant le premier diagnostic proprement dit et que les participants modifiaient leur comportement au cours de la maladie, avant même que le diagnostic ne soit posé. De même, des niveaux accrus de congé de maladie et de pension d’invalidité ont été signalés pour des patients atteints de SEP, même 15 ans avant le premier diagnostic de la maladie. À cet égard, la charge de morbidité peut affecter le mode de vie d’un patient atteint de SEP bien avant qu’elle ne soit diagnostiquée. De plus, des taux plus élevés d’utilisation des services médicaux par rapport à la population générale ont été observés au moins 5 ans avant le diagnostic.

Les auteurs expliquent ici clairement les raisons pour lesquelles leurs résultats ne valent rien; leur méthodologie est simplement irrecevable.

D’autant plus que rien n’indique que dans un SEP post vaccinale, la survenue des symptômes soit forcément immédiate après l’injection considéré. L’étude de Hernan [4] a considéré une survenue de symptômes dans une fenêtre de 3 ans après la vaccination, et ensuite il faut rajouter encore plusieurs années pour le diagnostic : la moyenne du délai entre les symptômes et le diagnostic était de 5 ans, ce qui porte à 5-8 ans la fenêtre temporelle entre les vaccinations et le diagnostic.

Comprendre le concept de « healthy worker effect » ou « healthy user bias »

C’est le biais qui anéantit la crédibilité de nombreuses étude observationnelles sur les vaccins qui ne déterminent pas correctement la date des premiers symptômes : les vaccinations sont des actes médicaux visant des sujets en parfaite santé; un sujet malade (a fortiori souffrant de troubles fortement invalidants comme ceux caractéristiques de la SEP) aura moins tendance à se faire vacciner qu’un sujet sain et l’état de santé général des deux groupes n’est donc pas du tout comparable ! Le fait que la proportion de vaccinés chez les sujets déjà atteints de SEP soit plus faible que chez les sujets sains ou les sujets atteints de pathologies moins lourdes est même parfaitement attendu.

C’est exactement la même chose pour les études sur les morts subites du nourrisson par exemple : les enfants non vaccinés sont ceux qui n’ont pas pu l’être car trop faibles, donc les deux groupes vaccinés et non vaccinés ne sont pas comparables.

Le bouquet final…

Les lecteurs curieux s’étant procuré l’article auront remarqué que cette étude étant faite sur registre sans interview (c’est impossible avec de tels effectifs), il n’y a aucune information sur les facteurs de confusion ni la comparabilité des groupes (les seuls ajustements faits l’ont été sur le sexe et l’âge – seules informations disponibles dans le registre), critères pourtant essentiels pour la crédibilité d’une étude cas-témoins !

Quid de l’exposition au tabac, des antécédents de maladies infectieuses (mononucléose), d’historique personnels ou familiaux de troubles neurologiques etc? Rien!

Conclusion

GIGO = poubelle

Il n’y a évidemment strictement rien à attendre d’une publication pareille en termes d’éléments pertinents sur l’existence éventuelle d’un lien entre vaccins et SEP (la médiocrité de cet article saute aux yeux même en le survolant rapidement). Par contre il en dit long sur le niveau d’abyssale nullité des commentateurs autorisés utilisant cette étude pour attester de l’absence d’un lien. Au mieux, certains s’arrêtent à la lecture du résumé, au pire d’autres lisent l’article en entier mais n’y comprennent rien…

Saluons l’honnêteté des auteurs : d’habitude quand une étude de merde de faible crédibilité est publiée, ils essayent au moins de brasser un minimum de vent dans la section « Discussion » de l’article pour entretenir l’illusion. Ici ce n’est même pas le cas.

J’ai également contacté les auteurs pour leur demander s’ils avaient des résultats stratifiés par produit (brand), pas de réponse.

On nous a donc encore pris pour des cons mais comment les blâmer puisque systématiquement des études pareilles sont relayées par un aréopage d’ignorants (ou de soudoyés) qui déclament à qui veut les entendre que ce genre d’étude rassurante est sérieuse?

Résistance!

 

Notes et sources:
[1] A large case-control study on vaccination as risk factor for multiple sclerosis. 2019 Jul 30. pii: 10.1212/WNL.0000000000008012. doi: 10.1212/WNL.0000000000008012.
[2] Le problème des études faites sur registres / bases de données informatiques c’est que personne n’en valide le contenu. Les gens vaccinés l’ont-ils vraiment été ? Les gens non vaccinés ne le sont-ils pas vraiment ? Validation des diagnostics ? On peut mettre en place des critères pour tenter de minimiser ces éventuelles erreurs mais tout dépend de la qualité du registre concerné.
[3] New diagnostic criteria for multiple sclerosis: guidelines for research protocols. 1983 Mar;13(3):227-31.
[4] Recombinant hepatitis B vaccine and the risk of multiple sclerosis: a prospective study. 2004 Sep 14;63(5):838-42.

 

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