Bernard Guennebaud nous rappelle ici les heurs et malheurs du confinement et de la vaccination systématique des sujets contacts s’agissant non pas de l’entourage des malades atteints de la Covid (plus que rares à cette heure) mais de la variole dans les années 1970. Cet article représente la suite logique des deux premiers de la série(*)(**) et vise à faire comprendre qu’en matière sanitaire les solutions à l’emporte-pièce brutales, généralisées et intuitives sont rarement génératrices des succès espérés. Nos formidables élites vont-elles se souvenir des erreurs passées ou replongeront-elles dans les mêmes ornières ? Bonne lecture.

Introduction

Je voudrais évoquer ici les mois les plus noirs du programme d’éradication de la variole et l’effet Buchwald (**) à l’échelle de l’Inde de janvier à juin 1974 ([1] p. 762).

Dans l’article précédent on a vu que les effets Buchwald permettaient d’expliquer des constatations sur des individus et des observations sur des groupes limités. Les mêmes phénomènes ont aussi été constatés à grande échelle et tout particulièrement en Inde. En 1972 le directeur du programme d’éradication de l’OMS, Donald Henderson reconnaissait lui-même une efficacité limitée à la vaccination de masse et constatait que beaucoup d’officiels de santé persistaient encore à croire que la seule solution était dans la vaccination de 100 % de la population. S’appuyant alors sur les succès rapides et spectaculaires obtenus en Indonésie par la stratégie de surveillance-endiguement, il lança cette stratégie en Inde et en attendait des succès rapides [1] :

Capt. écran

À sa grande surprise, il devra  constater  un désastre sans précédent comme le montre l’évolution du nombre de cas notifiés en Inde Centrale [1] :

Tableau 1

Plus précisément, le même document donne l’évolution mois par mois du nombre de cas notifiés au Bihar, l’État de l’Inde qui fut le plus frappé par les épidémies de variole.

Pour 1971 le maximum se produisit en mars avec 336 cas ; il sera de 5.321 cas en décembre 1973 et de 35.626 cas en mai 1974 ! L’épidémie régressera ensuite pour atteindre 527 cas en décembre avant de disparaître en mai 1975. La variole était alors éradiquée de l’Inde.

Quelques explications

Comment expliquer de tels faits ? La stratégie mise en place sur le terrain a été décrite avec une évolution au cours du temps et selon les régions. À partir de janvier 1973 la vaccination des contacts va devenir systématique [2] :

– « La méthode standard d’endiguement demandait de connaître les contacts et prenait beaucoup de temps. Nous avons voulu restructurer l’endiguement pour qu’il ne dépende pas d’un interrogateur bien motivé et talentueux. Pour ces raisons nous avons abandonné l’approche par contact spécifique au profit d’une intense vaccination locale en anneau. Traduit dans le contexte du Bangladesh l’anneau était le village. »

Si on admet que le vaccin était doté du second effet Buchwald, la vaccination systématique des contacts immunisés par une ancienne variole ou une ancienne vaccination ne pouvait qu’accroître le nombre de cas de variole. De plus, si ceux-ci n’étaient pas tous  isolés ils pouvaient amplifier les épidémies. C’est ce qui sera constaté.

Ce fait conduira,  à partir d’octobre 1973, à organiser une semaine de prospection toutes les 4 semaines ce qui était aussi la durée de la maladie. Les cas étaient maintenus en quarantaine dans l’habitation où ils avaient été découverts ainsi que toutes les personnes qui s’y trouvaient. Elles ne pouvaient donc pas transmettre le virus au-delà de l’habitation qui était gardée 24 heures sur 24, personne ne pouvant ni y entrer ni en sortir. Ils recevaient cependant de la nourriture.

Les équipes d’intervention restaient sur place en se logeant dans des tentes. Elles  faisaient de la surveillance au voisinage des habitations en quarantaine tout en pratiquant autour une vaccination dite en anneaux. Quand la maladie avait disparu de la zone surveillée, l’équipe repartait pour de nouvelles prospections.

Bengladesh, stratégie de confinement des varioleux

A priori, cette stratégie de prospection active et de mise en quarantaine pourrait expliquer à elle seule la disparition de la maladie puis l’éradication du virus. Cependant, en laissant les malades à la charge des non malades présents dans l’habitation, la transmission pouvait se faire parmi eux.  L’accroissement considérable du nombre de cas notifiés pourrait alors s’expliquer par le fait que beaucoup d’entre-eux tombaient aussi malades. Pourtant, ils avaient tous été systématiquement vaccinés au moment de la découverte du cas, ce qui montre au moins que  cette vaccination n’était pas protectrice quand elle était pratiquée dans ces conditions.

Une question se pose : Est-il nécessaire d’aller chercher les effets Buchwald pour expliquer cette amplification considérable du nombre de cas ? Avec ces seules considérations, il faudrait des données plus détaillées montrant que, par exemple, d’anciens varioleux ou d’anciens vaccinés placés en quarantaine avec un malade et qui étaient vaccinés à cette occasion, auraient  fait la maladie. Ces données  existent car les équipes rédigeaient des rapports qui ont été conservés au siège de l’OMS.

Elles ont été numérisées et représentent 700 000 pages !

Le cas particulier de l’Inde

Pour l’Inde, il avait été noté un accroissement de la mortalité qui avait conduit les autorités indiennes à réclamer  à l’OMS l’arrêt de la stratégie dite de surveillance-endiguement et le retour à la vaccination de routine. Il y eut à cette époque une tension très vive entre l’OMS et l’Inde qui contraignit D.Henderson, le directeur du programme d’éradication, à se rendre à New Delhi pour y rencontrer les autorités indiennes. Tout cela est décrit [1] par Henderson lui-même.

Mais comment expliquer que la variole, maladie reconnue pour se propager lentement, ait pu soudain se transformer,  en 1973-1974, en des épidémies qui furent qualifiées par l’OMS « d’inattendues et d’explosives » et qui furent plus tard considérées comme des désastres par Henderson ?

Un document OMS  par un médecin indien le Dr Mahendra Singh relatait ceci en 1970  [3] :
– « Observations au cours des prospections spéciales au Rajasthan. Nous avons trouvé une transmission active avec une couverture vaccinale certifiée de 97 %.  Comme il est difficile de contacter et de vacciner chaque personne pour obtenir une couverture vaccinale complète à 100%, l’importance de la surveillance, les notifications précoces et la prompte mise en place des mesures de confinement est le SEUL moyen pour arrêter la transmission de la maladie »

L’auteur laisse ainsi sous-entendre que s’il avait été possible de vacciner 100% de la population, la variole aurait certainement été  vaincue ainsi. Si on admet la réalité du second effet Buchwald pour le vaccin antivariolique, rien ne serait moins sûr comme le montre ce que j’appelle le théorème de Buchwald :

Les campagnes de vaccinations locales pouvaient être suivies de flambées épidémiques et non de leur atténuation. Ce phénomène s’est manifesté au cours de campagnes de vaccination dites de masse et plus encore consécutivement à des vaccinations ciblées dites en anneaux.

Examen des Relevés Epidémiologiques Hebdomadaires

Voici une succession d’extraits des REH (Relevé épidémiologique hebdomadaire) de l’OMS au cours de l’année 1973 qui marque le début de la vaccination systématique de tous les contacts mais dont certains étaient laissés libres de leurs mouvements :

REH n°2 du 12 janvier 1973 [4a]

 Il dresse le bilan de l’année 1972 bien que les chiffres ne soient pas encore définitifs. Pour l’Inde :
– « Pendant les 12 derniers mois le nombre de cas déclarés par l’Inde a régulièrement dépassé les niveaux de l’année précédente (1971). Dans de nombreux États cette accroissement correspond à une surveillance plus efficace et à la découverte de nombreux cas qui n’auraient pas été déclarés auparavant.»

REH n°11 du 16 mars 1973 [4b]

– « Les problèmes sont d’une ampleur telle que des efforts encore plus considérables que ceux qui sont déployés seront nécessaires pour interrompre la transmission. Note de la rédaction : d’importantes épidémies éclatent en ce moment à Calcutta ainsi que dans d’autres régions de l’Inde et au Bangladesh. Ce sont les plus étendues qu’on ait jamais enregistrées au cours des dix dernières années. »

REH  n° 18 du 4 mai 1973 [4c]

– « On peut s’attendre pour 1973 à un nouvel accroissement qui tiendra en majeure partie, non à une amélioration de la notification mais à une hausse marquée de l’incidence en Inde et au Bangladesh » (p. 191)

Dès le 4 mai le discours a changé : Ce n’était plus essentiellement la sous-notification même s’il y en avait,  mais une réelle et très importante augmentation du nombre de cas.

– « Le succès du programme mondial d’éradication s’est trouvé sérieusement menacé par l’apparition cette année de grandes épidémies de variole dans le nord de l’Inde et en particulier dans les États du Bengale-Occidental, d’Uttar Pradesh et de Bihar. La notification étant tardive et incomplète et les mesures d’endiguement inadéquates, les poussées relativement limitées de l’an dernier se sont transformées en épidémies de grande envergure. On s’inquiète tout particulièrement de l‘épidémie majeure, telle qu’on n’en avait pas observé depuis plus de 10 ans, qui sévit à Calcutta. L’abondance relative des moyens de transports en Inde a notablement contribué à compliquer le problème, de nombreuses personnes en période d’incubation ayant parcouru des centaines voire des milliers de kilomètres à travers le pays* et ainsi recrée des foyers d’infection dans des zones précédemment indemnes ».

– « Les importations dûment établies dans les États voisins des zones infectées se sont comptées par centaines ».  (p. 193)

* Faudrait-il croire que les déplacement des populations n’auraient débuté qu’en 1973 ?

REH n° 26 du 29 juin 1973  [4d]

Plus grave encore, les épidémies s’étendent rapidement à des contrées indemnes :

– «En Inde les principales régions d’endémicité continuent à déclarer plus de cas qu’elles ne l’ont jamais fait depuis plus d’une décennie. De nouveaux foyers d’endémie sont encore détectés et un certain nombre d’épidémies se sont produites récemment dans les États de l’Est et dans d’autres régions jusque là exemptes de la maladie. Ces épidémies sont liées principalement à des cas importés des États à forte endémicité, Bengale-occidental, Bihar, Uttar Pradesh. L’apparition d’épidémies dans la partie orientale du Madhya Pradesh qui en était naguère encore exempte est particulièrement préoccupante. En outre il est décevant de constater à ce jour l’échec des efforts d’endiguement entrepris pour interrompre la transmission dans le Rajasthan et l’Andhra Pradesh, où l’incidence de la maladie est faible et où des mesures d’endiguement relativement limitées mais efficaces devraient rapidement produire leurs effets. »

Ce qui est surtout décevant c’est qu’ils ne remettent pas en cause la vaccination de contacts dont certains étaient libres de leurs mouvements …

REH n° 38 du 21 septembre 1973 [4 e]

– « La période juillet-octobre est généralement celle où l’incidence de la variole et le nombre de zones touchées sont les plus faibles. Toutefois, la maladie est encore assez répandue cette été. Cette situation très préoccupante rend nécessaire un programme de surveillance-endiguement beaucoup plus agressif afin d’éviter de graves problèmes pendant la prochaine saison de la variole. Dans les trois pays où la variole persiste à l’état endémique, de vastes campagnes sont engagées pour déceler et éliminer les derniers îlots d’infection à cette époque de l’année où l’incidence est faible. L’aide internationale fournit à cette effet des soutiens supplémentaires mais le succès de la campagne d’automne exige encore des mesures de surveillance plus efficaces. »

REH n° 24 du 14 juin 1974  [4f]

– « C’est dans le Bihar que se livre la bataille principale contre la variole. Pour ce qui est du Bihar, le programme a été lent à démarrer, en partie à cause des inondations, et n’est vraiment opérant que depuis le début de cette année. Entre-temps, la variole avait pris une grande extension, débordant la capacité du dispositif sanitaire existant pour faire face aux épidémies. »

– « Toujours en Inde, d’autres foyers importants de variole existent à proximité de l’État du Bihar et de nombreuses épidémies observées à une plus grande distance se sont révélées avoir eu pour origine une infection contactée dans cet État. »

Opérations vaccinales ou militaires ?

On peut trouver des compléments très intéressants rapportés par un historien de l’Inde moderne, Paul Greenough [2bis]. Il s’est penché sur la campagne d’éradication de la variole en Inde et au Bangladesh  [2] :

« Intimidation, coercition et résistance dans l’étape finale de la campagne d’éradication de la variole en Asie du Sud – 1973-1975 »

Il distingue 2 phases dans la pratique de la vaccination des contacts (p 635 col.2) :

  • Au début on ne vaccinait pas les contacts quand ceux-ci apportaient la preuve d’une vaccination un peu ancienne pratiquée avec succès ou s’ils avaient déjà fait la variole.
  • En 1973 ce critère restrictif sera supprimé afin de gagner du temps en évitant d’avoir à discuter avec les habitants dont les étrangers qui participaient aux campagnes ne connaissaient pas la langue. Ainsi, tous les habitants du village seront alors systématiquement vaccinés. Le village représentait ainsi l’analogue du troupeau dans la lutte contre les maladies du bétail. Cette mesure donnera lieu à des pratiques  »quasi militaires » comme le rapporte cet historien (p 635 col.2 …) :

– « La mise en œuvre de l’endiguement, tel qu’il a été défini, produisait souvent le chaos dans les villages concernés. L’endiguement était marqué par une attaque quasi militaire des villages infectés. Dans l’excitation d’une telle campagne, les femmes et les enfants  étaient souvent vidés de leur lit ou des latrines. Presque invariablement, une poursuite ou une vaccination forcée s’ensuivait. Nous considérions que les villageois avaient une crainte irrationnelle de la vaccination. Nous voulions seulement que la population n’attrape pas la variole et meure inutilement. Nous allions de porte en porte et nous vaccinions. Quand ils couraient, nous les pourchassions. Quand ils barricadaient leurs portes, nous fracassions leurs portes et les vaccinions. »

Évidemment de telles méthodes engendrèrent des résistances et des protestations !!! Quand on réalise que ce furent justement ces vaccinations forcenées qui, loin de protéger la population de la variole, exacerbèrent les épidémies on pourrait être pris de vertige … Pour les vaccinateurs, la  motivation dominante justifiant leur action était de protéger les habitants de la variole alors que ceux-ci avaient, selon eux, une peur irrationnelle de la vaccination. Cette peur n’était pas aussi irrationnelle que cela car les habitants étaient bien placés  pour constater que les épidémies flambaient aussitôt après le passage des équipes de vaccination alors que les vaccinateurs poursuivaient leur chemin sans se retourner … Bien sûr, ce constat se propageait de village en village.

En 1999 D. Henderson reviendra sur la campagne d’éradication en reconnaissant que [5] :

– «  En 1980 le programme d’éradication de la variole était alors gravement décrié par les planificateurs internationaux de la santé. Pour eux, la campagne contre la variole incarnait le pire de ce qu’ils qualifiaient de programmes anachroniques, autoritaires et condescendants. »

Rétrospectivement, on peut reconnaître que les attitudes extrêmes et violentes manifestées par les acteurs sur le terrain ne furent que le reflet des certitudes arrogantes des experts clamant leur foi inébranlable dans la vaccination quelle que soit sa mise en œuvre. Cette foi s’exprima dès le début par la certitude de vaincre la variole en quelques années par la vaccination de masse puis, après son échec,  la certitude que la vaccination des contacts ne pouvait être qu’une mesure efficace. Ces certitudes furent sans doute le principal obstacle à une analyse pertinente des faits qu’ils avaient pourtant sous les yeux.

Par exemple, en Inde, le Bihar sera même considéré comme une région particulière où la stratégie qui réussissait ailleurs n’était pas applicable ([1] p. 767 ):

– « Avec une épidémie aussi extensible que celle observée au Bihar, certains épidémiologistes de l’Inde et du programme OMS commencèrent à spéculer que le Bihar devait représenter un cas spécial où la stratégie de surveillance-endiguement maintenant bien testée n’était pas applicable. »

Ce qui était spécial, c’est qu’au Bihar il avait manqué un petit détail qui change tout. Fin 1973, en raison des inondations on n’isolait pas les malades et les contacts, les équipes devant quitter le village aussitôt après en avoir vacciné les habitants. Plus tard, ces équipes resteront 3 semaines et même 6 semaines pour surveiller les zones infectées.

  Les « épidémies explosives et inattendues » au Bihar (octobre 1973 – mai 1974)

REH n°19 du 10 mai 1974 [4g] : « La notification est devenue pratiquement complète dans la plupart des régions. En même temps des épidémies explosives se sont produites dans l’État indien de Bihar »

Bihar, 10/73-05/74, Variole, nombre de cas

Voici les nombres de cas notifiés par semaine au Bihar. Les semaines de prospection sont en rouge. Ce sont les semaines 43, 47 et 51 de 1973 ainsi que les semaines 6, 12 et 18 de 1974. On peut faire un constat intéressant : en 1973 les nombres de cas notifiés dans les semaines qui suivent la semaine de prospection sont  faibles. C’est l’inverse après les semaines 6, 12 et 18 du 1974 où les notifications flambent alors que les équipes  sont sur zones et peuvent ainsi notifier les nouveaux cas qui apparaissent. Beaucoup de ces nouveaux cas étaient sans doute des contacts qui venaient d’être vaccinés et qui étaient  enfermés en quarantaine avec le malade initial dans l’habitation où il avait été découvert.

Que des épidémies explosives apparaissent en même temps que l’application de la stratégie de vaccination systématique des contacts ne fut pas d’une force suffisante pour que Henderson et ses collaborateurs s’interrogent sur la possibilité d’un lien. Ils croyaient disposer de preuves scientifiques sur l’efficacité de cette vaccination alors que ces preuves n’avaient aucune valeur comme cela pouvait se voir immédiatement. Malheureusement, leur formation scientifique n’était pas suffisante pour cela.

Pour moi, ce serait cela la raison principale à l’origine de la mise en œuvre et du maintien de ces mesures catastrophiques : une formation scientifique insuffisante.

Les retombées de la bombe atomique indienne

Malgré son importance, l’épidémie de variole qui sévissait dans certaines régions de l’Inde était peu connue en dehors. Cependant, un événement va bouleverser cette état de fait : l’explosion souterraine de la première bombe atomique indienne dans le Radjastan le 18 mai 1974. Du coup, la presse internationale convergea vers New Delhi pour couvrir l’événement. Simultanément, la même semaine, la variole venait d’exploser en Inde avec plus de 11 000 cas notifiés au cours de cette semaine. De fait, la presse internationale va couvrir les 2 événements. Henderson écrit à ce sujet ([1] p 770 col. 1) :

– «  L’état-major du programme expliquait à maintes reprises (à la presse) qu’une notification plus complète rendait compte pour la plus grande part de ce qui apparaissait comme étant la plus importante épidémie depuis de nombreuses années, mais le scepticisme était dominant et compréhensible. »

Ce scepticisme dominant et compréhensible dont Henderson fait état en 1988  révèle que la sous-notification, constamment et complaisamment avancée, n’expliquait pas tout comme les REH de l’époque (1973)  l’avaient  reconnu.

Opposition de l’Inde à la politique de l’OMS

Il y eut aussi, à la même période, une vigoureuse opposition de l’autorité sanitaire indienne à la nouvelle politique de l’OMS, l’Inde voulant revenir à la vaccination massive de routine. Il ne fait aucun doute que ce fut l’accroissement considérable des épidémies de variole qui se produisaient de façon concomitante à la mise en place de cette nouvelle politique qui avait conduit les autorités indiennes à manifester cette très vive opposition relatée à la fois par l’historien Paul Greenough et le document OMS de 1988. En effet, devant les catastrophes constatées avec un accroissement considérable du nombre de cas et des décès, les autorités indiennes réclamaient l’abandon de la nouvelle stratégie et le retour à la vaccination de masse ([1] p. 767) :

– « Au Bihar, il y eu une explosion du nombre de cas sans précédents malgré le programme de surveillance-endiguement. Les autorités sanitaires du Bihar et d’Inde militaient pour le retour à la vaccination de masse, en opposition aux directives de l’OMS. Le ministre de la santé du Bihar finira par donner l’ordre de retirer les équipes médicales en place pour aller vacciner les zones non infectées. Mais il a du annuler son ordre suite au lobbying du Dr Sharma auprès du ministre de la santé de l’Inde. Certains épidémiologistes indiens et de l’OMS, ont supposé que la stratégie de confinement/endiguement n’est peut être pas applicable dans le cas d’une forte expansion de la maladie. »

Ces faits avaient laissé une trace dans un bref encart que j’avais trouvé dans Sciences et Vie en 1974 : « Situation critique en Inde. Selon le Conseil indien de la recherche médicale,  le vaccin contre la variole  est devenu inefficace en Inde. 20000 décès en 1973 .»

Conclusions provisoires

Aucune des deux stratégies qui s’opposaient intensément au plus haut niveau — la vaccination de masse et la surveillance-endiguement — n’étaient satisfaisantes. La vaccination de routine avait démontré ses limites et si l’isolement des malades et des contacts était une mesure d’endiguement très positive, le fait que les malades soient laissés le plus souvent à la charge des contacts et le fait que ces contacts soient vaccinés en cette occasion furent deux mesures très délétères.

Il aurait évidemment été préférable d’isoler les malades sous de petites tentes individuelles comme le montre une photo dans [1], mais cela fut exceptionnel. Les responsables du programme en avaient certainement conscience. La vaccination des contacts aggravait encore la situation mais, convaincus par l’existence de « preuves » considérées comme scientifiques, ils ne le comprenaient pas à l’époque. Il faudra attendre au moins 2005 avec les premières expérimentations animales pour ouvrir enfin les yeux sur un fait pourtant connu dès 1870 mais qui fut écrasé par les experts de l’époque en le qualifiant de « rumeur »… (**)

 

Bernard Guennebaud,
Septembre 2020

 

Notes et sources
(*) https://www.aimsib.org/2019/12/22/eradication-de-la-variole-les-grandes-manoeuvres-ont-commence/
(**) https://www.aimsib.org/2020/05/10/eradication-de-la-variole-la-desastreuse-vaccination-des-sujets-contacts/
[1] « Smallpox and its eradication » par Fenner, Henderson … http://apps.who.int/iris/handle/10665/39485  pages 743, 761 et 766.
[2] Paul Greenough sur les campagnes coercitives de vaccination :
http://archives.evergreen.edu/webpages/curricular/2007-2008/globalhealth/files/globalhealth/Greenough%20Intimidation%20in%20South%20Asian%20Smallpox.pdf
[2bis]  Sur l’historien Paul Greenough :
https://clas.uiowa.edu/history/people/paul-r-greenough
[3]  https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/68048/SE_WP_70.12.pdf
[4]  REH n°
[a] 2 du 12/01/1973
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219213/WER4802.PDF?sequence=1
[b] 11 du 16/03/ 1973
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219299/WER4810.PDF?sequence=1
[c] 18 du 4/05/1973
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219371/WER4818.PDF?sequence=1
[d]   26 du 29/06/1973
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219443/WER4826.PDF?sequence=1 
[e]  38 du 21/09/1973
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219548/WER4838.PDF?sequence=1
[f] 24 du 14/06/1974
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219910/WER4924.PDF?sequence=1
[g] 19 du 10 mai 1974
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/219854/WER4919.PDF?sequence=1
[5] Henderson 1999  https://www.cdc.gov/mmwR/preview/mmwrhtml/su48a6.htm

Grenough page 635, colonne 1 [5] :
« Despite these much more coordinated and stringent measures, the SEP (Smallpox eradication programme) came close to collapse in India in the first six months of 1974. There was an explosion of outbreaks in Bihar and Madhya Pradesh, and the largest number of new cases anywhere in the world during the prior six years was recorded in May of 1974. Arrival of these data coincided with grave financial problems in the Indian SEP, the onset of regional railroad strikes and an outbreak of widespread political disturbances. There was also a serious disagreement between the WHO advisers, on the one side, and India’s Director General of Health Services and the Bihar health minister, on the other; these two officials had lost faith in surveillance/containment methods and advocated a return to mass vaccination. Similar high-level calls for mass vaccination came from Bangladesh early in 1975 [1 ; p. 835]. »

Document OMS 1988 page 767 [1] :
«India’s Director-General of Health Services, still an advocate of mass vaccination, became increasingly alarmed and advised Bihar’s Minister of Health to with draw staff from the infected areas and to begin mass vaccination campaigns in the areas still free of smallpox to prevent them from becoming infected.
Dr Sharma, learning of this only after the minister in Bihar had begun to take action, protested direct to India’s Minister of Health and Family Planning, Dr Karan Singh, and together they flew to Bihar to intercede. The Bihar minister rescinded his order.
In an epidemic as extensive as that occurring in Bihar, some of the Indian and WHO programme epidemiologists began to speculate that Bihar might represent a special case in which the now well-tested surveillance and containment strategy might not be applicable. »

Attaques militaires
« The actual application of containment so defined, however, often produced chaos in the affected villages.
The initial stage in the evolution o f a coherent containment policy was marked by an almost military style attack on infected villages . . . . In the hit-and-run excitement of such a campaign, women and children were often pulled out from under beds, from behind doors, from within latrines, etc.
Almost invariably a chase or forcible vaccination ensued in such circumstances … We considered the villagers to have an understandable though irrational fear of vaccination … We just couldn’t let people get smallpox and die needlessly. We went from door to door and vaccinated.
When they ran, we chased. When they locked their doors, we broke down their doors and vaccinated them. »

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