En général, l’AIMSIB ne s’intéresse pas tellement à la description des « case controls » car ces études de cas demeurent de valeur scientifique fragile (*) mais s’il s’agit de l’histoire de ce diablotin d’adolescent de seize ans, connu sous le nom de Bernard Guennebaud, incapable de garder son calme dans une file d’attente de médecine scolaire, tout de suite on a envie de savoir. Quel effet a-t-il produit sur l’infirmière, sur le médecin qui la suit et surtout quelle conséquence ces deux praticiens de santé ont-ils pu créer sur l’état de santé de notre spécialiste en herbe ? Un volumineux article empli de mystères où Pasteur s’en va et où Tissot revient. Bonne lecture.  

J’ai fait une tuberculose autogène, le Big Bang !

Dans la vie de tout individu, collectivité ou nation, se produisent parfois des événements particulièrement forts qui vont organiser l’écoulement du temps et participer à la construction du calendrier. Ainsi on dira : avant ou après la guerre, avant ou après l’accident, avant ou après le cancer. Ces événements modifient profondément le cours d’une existence, en définissent une nouvelle forme après avoir bousculé et détruit l’ancienne, préparant ainsi le début d’un nouveau cycle. Ce sont de véritables Big Bang.

Le Big Bang qui ébranla ma vie se produisit le 2 octobre 1959. J’étais alors élève de première au collège Denfert-Rochereau à Saint-Maixent dans les Deux-Sèvres. Je me sentais en très bonne forme à l’issue des vacances et j’étais disposé à fournir l’effort nécessaire pour la première partie du baccalauréat qui, à cette époque, comportait toutes les matières (français, maths, physique-chimie, histoire-géo, anglais, latin plus un oral d’anglais) avec redoublement si on échouait à l’examen. J’étais de plus un bon sportif participant, en particulier, aux compétitions scolaires d’athlétisme.

La file d’attente de trop

La rentrée scolaire avait eu lieu la veille, le 1er octobre et, le matin de ce 2 octobre, le médecin scolaire se présente dans la classe accompagné d’une infirmière. Il vient pour procéder à la cuti-réaction annuelle. Bien que le BCG était en principe obligatoire depuis la loi de 1950 et le décret d’application de 1952, il n’était pas pratiqué sur les scolaires dans ce département contrairement au département voisin de la Vienne avec Poitiers, ville pilote pour le BCG avec Lille. Poitiers était la ville de Camille Guérin alors que Lille était celle d’Albert Calmette et surtout de l’Institut Pasteur où Calmette et Guérin avaient obtenu et expérimenté le BCG sur des bovins, Camille Guérin étant vétérinaire. Le plus important lycée de Poitiers porte son nom.

Nous subissions chaque année, depuis le primaire, un test tuberculinique sous la forme d’une cuti dont le but était de dépister la primo-infection tuberculeuse, c’est-à-dire le premier contact avec le bacille tuberculeux qui était encore relativement répandu à l’époque. Cependant, je n’avais jamais vu un élève de ma classe avec un test positif.

Le médecin nous demanda de nous mettre en file indienne en libérant notre bras gauche. C’était pour une question de positionnement par rapport à l’infirmière. M’étant retourné pour parler avec ceux qui étaient derrière moi, je dégage mon bras droit, une distraction qui pourrait s’expliquer ainsi. C’est un petit détail, du moins en apparence, mais qui va complètement bouleverser le cours de mon existence comme vous allez le voir. Devant l’infirmière qui dépose la tuberculine, je me rends compte de mon erreur. Je lui demande si cela avait de l’importance. D’un large sourire très encourageant, elle me répond que non, ce qui était très certainement vrai. Mis en confiance par ce premier échange avec l’infirmière, je m’enhardis pour la taquiner sur son manque de générosité à mon égard en déposant une aussi petite goutte sur mon bras. Piquée au vif par ma remarque, elle replonge son compte-goutte dans son flacon pour en déposer une énorme sur mon bras. Elle était vraiment énorme, certainement au moins 20mm. Pour ne pas couler, la tuberculine utilisée pour les cutis contient du mercure. Très surpris par sa réaction, je lui demande si c’est dangereux. En aucune façon, me répondra-t-elle d’un ton parfaitement assuré. Alors  je me moque de l’élève qui, devant moi, est ridicule avec sa petite goutte, incapable qu’il fut d’obtenir les faveurs de l’infirmière ! Pour calmer sa jalousie, elle va le gratifier d’un généreux supplément mais nettement moins important que pour moi.

Il reste encore deux élèves derrière moi. Pour éviter tout sentiment d’injustice, l’infirmière au grand cœur va les arroser très généreusement en tuberculine, tout cela dans les rires et la bonne humeur. En fait, nous étions les derniers de la dernière classe de l’établissement et l’infirmière vidait son flacon car, comme elle nous le dira, le reste sera perdu. Elle ne voulait pas faire de restes et ce qu’elle a ainsi très largement distribué ne sera pas perdu, comme vous allez le constater.

Rigueur médicale ?

Cependant, il nous faut encore passer devant le médecin qui procède à la scarification avec une sorte de plume coupant superficiellement la peau sur toute la largeur de la goutte, comme mentionné dans les cours pour étudiants en médecine. Quelque chose me dit que ça ne va pas, le médecin sait très certainement et il va sans doute demander d’essuyer tout ça pour recommencer. J’observe celui qui est devant moi et qui deviendra médecin par la suite. Il passe sans encombre mais la goutte dont je suis porteur est beaucoup plus grosse. J’épie le médecin, il ne manifestera aucune surprise, procédant à la scarification sur toute la largeur de la goutte. Je ressens confusément une impression de danger. J’aurais pu tout essuyer comme me le conseilla un autre élève me disant, la mine effarée “essuie tout ça sinon ça va te piquer !“  Mais le médecin doit savoir et ce fut presque en me forçant que je ne ferai rien, laissant la tuberculine pénétrer, acceptant ainsi docilement le destin.

Quelques jours plus tard, le médecin viendra lire les tests. Nous sommes tous négatifs comme d’habitude. Avec ces énormes gouttes de tuberculine, le Big venait d’avoir lieu, le Bang n’allait pas tarder même si ça n’avait pas piqué ! Trois semaines plus tard, je me sens très las et je me demande comment je vais faire pour tenir jusqu’au bac en juin si je suis déjà aussi fatigué à peine fin octobre. J’éprouve des difficultés pour monter les escaliers alors que je les montais toujours en courant, précédant largement les autres élèves. Las, je les montais lentement derrière le groupe, accompagné d’ailleurs par l’un des trois autres élèves ayant reçu une très forte dose. Durant tout le trimestre, je vais ressentir une étrange fatigue que je n’avais jamais connue auparavant. Pourtant, je disputerai quand même les matchs de handball  de l’équipe du collège mais loin de mon rendement habituel. Pendant les vacances de Noël, je ressens une douleur au côté droit du thorax. Après avoir tenu jusqu’au bout sans rien dire, je serai contraint de m’aliter le 2 janvier 1960. À l’auscultation, un médecin me fera dire 33, prescrira un test tuberculinique par un timbre appliqué sur le thorax ainsi qu’une radio pulmonaire. Le test sera très positif, qualifié de +++ par le médecin et la radio, que j’ai conservée, montre une grosse tache blanche circulaire à droite du poumon droit. Me voilà alité pour des mois avec un traitement par des antituberculeux, 100 piqûres de streptomycine, de l’isoniazide et du P.A.S. (acide para-aminosalycilique qui inhibe la résistance induite par la streptomycine et l’isoniazide) pendant presque toute une année. Un an plus tard, la tache blanche sera résorbée.

Quatre cas confirmés de tuberculose ganglionnaire

Mais l’affaire ne se limitera pas à mon cas. Courant janvier, un autre cas se déclare. C’était un des deux élèves qui étaient derrière moi. Il avait lui aussi reçu une très grosse goutte de tuberculine. Un dépistage radiologique généralisé est alors organisé dans l’établissement en février. Deux autres cas seront alors découverts : celui qui était devant moi et l’autre élève qui était derrière moi. Nous étions quatre à souffrir à des degrés divers de la même affection, quatre élèves de la même classe, les quatre qui avaient reçu une grosse voire très grosse goutte de tuberculine. Doit-on croire à la coïncidence ? D’où venait le bacille tuberculeux qui nous avait contaminé ? Aucun de nous n’avait eu le BCG, nous aurait-il protégé ? C’est ce que j’ai pensé pendant quelques années. C’était sans doute normal car je ne pouvais être que conditionné par la propagande qui s’affichait généreusement dans la salle d’attente du local de la médecine scolaire où nous allions une fois l’an pour la visite médicale. Je croyais en la science qui s’affichait ainsi, en l’Institut Pasteur tout entier dévoué au service des populations. Je croyais en tout cela car c’était ce qu’on nous apprenait à l’école primaire comme au collège.

Tissot pour une explication rationnelle

Début des années 70, j’achète l’ouvrage de Jules Tissot datant de 1946 avec ses planches photographiques. J’ai précédemment écrit ici-même un article sur sa découverte sur le bacille tuberculeux [1]. Quand je découvre comment il a pu photographier la naissance du bacille tuberculeux à partir du réseau mitochondrial connexe des cellules, rendant ainsi possible une tuberculose autogène, c’est à dire sans qu’il ait été nécessaire d’avoir été contaminé par un BK venu de l’extérieur, je réalise que c’est sans doute cela qui s’était produit pour moi peu de temps après cette fameuse cuti. J’aurais donc fait une tuberculose autogène et j’avais entre les mains le livre qui en expliquait la possibilité, en opposition avec les principes admis par ce qu’on appelle la science.

Quelques années plus tard, un instituteur de Niort me prêtera l’ouvrage de 1936 où Tissot montre pas à pas sur 57 planches photographiques commentées en détails, la naissance du bacille tuberculeux. Ces deux ouvrages vont me passionner bien sûr et j’ai passé beaucoup de temps à les étudier, surtout celui de 1946 car celui de 1936 était trop technique pour moi. Il est aujourd’hui intégralement disponible en téléchargement [2].

Mais vous lecteurs, vous avez le droit de ne pas être convaincus que ma tuberculose fut autogène même si vous admettiez la réalité de la découverte de Tissot car elle n’exclut pas la contagion. On pourrait envisager que nous ayons été contaminés avant cette cuti, que cette contamination ne nous ait pas rendu malades jusque là et que ce serait cette très forte dose de tuberculine qui aurait fait flamber cette primo-infection préalable. En effet, il est admis et reconnu que 90% des personnes contaminées par un bacille tuberculeux ne deviennent pas malades [3] (page 1 Tuberculose) :

  • « Après exposition au bacille de la tuberculose (bacille de Koch), un certain nombre de personnes développe en quelques semaines une infection, la « primo-infection », souvent sans symptôme. Dans 90 % des cas, cette primo-infection est contrôlée par le système immunitaire et la tuberculose devient « latente » ou « dormante » (également appelée « infection tuberculeuse ») : le bacille reste présent dans le corps, mais le système immunitaire empêche en permanence sa multiplication.
  • Chez 10 % des personnes infectées, le bacille de Koch n’est pas suffisamment contrôlé par le système immunitaire et ces personnes développent une tuberculose dite « active » (ou « maladie tuberculeuse ») qui va évoluer et provoquer des symptômes, le plus souvent au niveau des poumons (tuberculose pulmonaire, dans environ 75 % des cas). La tuberculose active peut également apparaître après des années de tuberculose latente, à la faveur d’un affaiblissement de l’organisme dû à l’âge, à une autre maladie ou à un traitement qui perturbe le fonctionnement du système immunitaire. Cette ré-activation d’une tuberculose latente est plus fréquemment observée pendant les deux années qui suivent la primo-infection. »

La première question est donc : étions-nous déjà contaminés le 2 octobre 1959, au moment du test ? Il est important de rappeler ici que nous étions tous les quatre négatifs au test réalisé avec une très forte dose qui aurait dû favoriser la positivité du test. Il est cependant admis qu’il faut un délai allant d’un mois à dix semaines après une contamination pour que le test  soit positif [3] (page  Diagnostic) :

  • « L’intradermoréaction est particulièrement utile pour diagnostiquer les formes non pulmonaires de la tuberculose. Elle devient positive dans les quatre à dix semaines qui suivent la contamination. »

Cette durée de 4 à 10 semaines était donc incluse dans ce qu’on appelait les grandes vacances qui avaient débuté le 14 juillet. De plus, avec une aussi forte dose, ce délai devrait être plus court. Il aurait donc fallu que nous ayons tous les quatre été contaminés pendant ces vacances où je n’avais rencontré aucun des trois autres élèves. Cela implique qu’il aurait fallu qu’il y ait eu au moins deux rencontres avec un tuberculeux contagieux, celui qui m’aurait contaminé et celui qui aurait contaminé  les trois autres, en admettant que ce soit le même et surtout au même moment.

De plus, il faut savoir qu’une contamination tuberculeuse par proximité n’est pas si aisée à réaliser. Le contaminant doit tousser fort pour pouvoir expectorer un bacille en filaments qui est lourd en comparaison du virus de la grippe qui est, à l’origine, un virus des oiseaux. Je n’ai jamais été contagieux car je n’ai jamais toussé au cours de cette maladie. Les enfants sont très rarement contagieux pour la tuberculose car ils n’ont généralement pas assez de force pour “sortir“ le bacille [3] (page Causes et prévention) :

  • « Seule une personne souffrant de tuberculose pulmonaire peut transmettre la tuberculose. La contamination se fait essentiellement par inhalation de gouttelettes microscopiques contaminées que la personne malade projette dans l’air lorsqu’elle tousse, crache ou éternue. »
  • « La contamination par la tuberculose se produit rarement lors d’un seul contact rapide avec une personne tuberculeuse (par exemple, une visite à l’hôpital ou un voyage en transport en commun). Dans la très grande majorité des cas, les personnes contaminées ont eu des contacts répétés et prolongés avec la personne malade, dans le cadre familial ou lors de cohabitation, à l’hôpital ou dans un centre de séjour pour personnes défavorisées. Les travailleurs sociaux sont, de ce fait, particulièrement exposés à la tuberculose. »

De plus, la toux d’un tuberculeux contagieux ne passe pas inaperçue. Je ne me suis pas souvenu avoir côtoyé une telle personne pendant les vacances d’été où le fait de tousser, surtout à la manière d’un tuberculeux contagieux, n’est pas vraiment “de saison“ si l’on peut dire. De plus encore, la transmission se fait surtout en milieu confiné, dans une pièce, en famille ou dans un lieu clos comme un bureau.

Pour ma part j’avais passé toutes les vacances d’été au grand air dans une propriété entourée d’un grand jardin avec de grands arbres centenaires. J’avais deux  sœurs qui sont restées négatives au test tuberculinique tant qu’elles ont été testées, c’est-à-dire bien après 1960. De plus, il n’y avait pas de cas de tuberculose dans ma famille.

Je ne veux pas parler pour les trois autres élèves car je ne connais pas les détails de leur vie pendant cette période mais pour moi, après avoir retourné mes souvenirs dans tous les sens, je suis totalement convaincu que je n’avais pas pu avoir été contaminé avant la cuti ni après d’ailleurs. Ce serait donc la tuberculine qui, après avoir un peu voyagé par la voie lymphatique, se serait localisée sur un ganglion sur le côté droit du poumon, pas très loin de la plèvre. Le phtisiologue de Niort qui m’avait soigné a toujours parlé d’un ganglion proche de la plèvre. De plus, j’ai conservé toutes les photos prises au cours de cette maladie. J’en ai même publié une à la fin d’une vidéo de 10 minutes où je raconte cette étrange affaire [4].

À la recherche des autres malades de la file

Au cours des années 1990, j’avais écrit à celui qui était devant moi et qui était devenu médecin dans le département voisin de la Vienne. J’avais ainsi pu aisément trouver ses coordonnées. Il jouait d’ailleurs goal dans l’équipe de handball dont j’étais l’avant-centre. Il se souvenait donc très bien de moi car je lui tirais des penaltys pour nous échauffer ! Il fut le seul à pouvoir fréquenter l’établissement à mi-temps car il fut moins malade que les trois autres. Il avait aussi reçu une dose nettement moins forte que la mienne, j’en suis certain. Il me répondra. Pour lui, la seule façon d’expliquer ces tuberculoses en l’absence de contagion aurait été que ce soit la tuberculine elle-même qui aurait contenu les fameux bacilles ou du moins, en aurait permis la reconstitution pour ceux ayant reçu une très forte dose. Ce n’était pas, a priori, impensable puisqu’elle est fabriquée à partir d’une culture de bacilles tuberculeux virulents. Il a alors joint le mode de fabrication de la tuberculine afin de me démontrer que le bacille tuberculeux ne pouvait provenir de cette  tuberculine, qu’elle ait pu le contenir ou reconstituer des bacilles tuberculeux. Pour lui c’était impossible et je partage volontiers son point de vue. Mais il y avait la découverte de J.Tissot dont je ne lui avais pas parlé. C’est, pour moi, la clé de cette étrange affaire des quatre cas simultanés de tuberculose au collège de Saint-Maixent en 1960, affaire qui agita l’établissement et les parents d’élèves pendant quelques temps et dont ma mère me rapportait les questionnements anarchiques alors que j’étais alité.

Il est possible que nous ayons été incorporés dans des statistiques sur les cas de tuberculose. Nous aurions alors été classés “tuberculose sans BCG“, contribuant ainsi à renforcer l’intérêt de cette vaccination. Il suffit d’ajouter une donnée supplémentaire, la très forte dose de tuberculine, pour orienter la réflexion dans une toute autre direction. Aussi, depuis cette expérience, je me méfie beaucoup de ce genre de statistiques.

Les différentes formes de tuberculose

[3] Page « symptômes et complications  »

  • « Lorsque la tuberculose atteint les poumons, la personne souffre de toux persistante, d’essoufflement et, dans les formes avancées, rejette des crachats sanglants. La tuberculose peut également toucher d’autres organes. La tuberculose peut également toucher les ganglions, les os, les enveloppes des poumons, du cœur, du cerveau et de la moelle épinière, ainsi que les reins, la vessie ou le larynx. Parfois, la tuberculose est disséminée dans l’ensemble du corps (on parle alors de tuberculose « miliaire »). Ces formes non pulmonaires de la tuberculose touchent plutôt les enfants, les personnes âgées et les personnes immunodéprimées. Elles sont observées chez environ un quart des personnes atteintes de tuberculose. »

J’ai pu lire qu’en cas de contamination aérienne, ce sont d’abord les ganglions trachéo-bronchiques qui seraient atteints. Donc des ganglions centraux et non pas périphériques. En 1990, j’avais rencontré l’un des deux élèves qui étaient derrière moi. Je lui ai demandé de quel côté sa maladie s’était manifestée. Il me répondra “ à gauche “ alors qu’il avait eu sa cuti à gauche comme tous les autres élèves. Quand je vais lui apprendre que la tuberculine contenait du mercure, il sera effrayé par cette importante quantité de mercure qui avait ainsi pénétré dans nos organismes par la voie lymphatique voire sanguine car un peu de sang avait aussi coulé après la scarification.

Supposons cependant que nous ayons tous les quatre été contaminés avant la cuti du 2 octobre. Dans la classe nous étions très nombreux car c’était la classe de français qui regroupait toutes les sections. Nous étions au moins 35 avec, parmi eux, quatre contaminés. Quelle est la probabilité pour que ces quatre contaminés se placent au hasard à la queue de la file ? Je peux la calculer si vous voulez mais elle est vraiment extrêmement faible comme chacun l’acceptera sans doute facilement. De plus, ces quatre-là vont recevoir une très grosse goutte de tuberculine. Il aurait pu n’y en avoir que trois ou cinq. Non, c’est tout juste quatre.

Alors si vous croyez encore à la coïncidence, je ne peux plus rien faire pour vous ! Je le rappelle, tous ceux qui fréquentaient l’établissement avaient eu en février 1960 un examen radiologique y compris les enseignants bien sûr, les surveillants, le concierge … Il ne fut constaté que quatre cas de tuberculose dont aucun n’était contagieux.

Une avalanche d’idées toutes faites

Après cette maladie je vais être assailli par une pluie d’idées fausses sur la tuberculose. Ces croyances reposent d’abord sur la propagande diffusée avec le relai complaisant des écoles et des enseignants. Quand j’étais à l’école primaire, chaque année l’instituteur nous parlait de la tuberculose. En s’appuyant sans doute sur les documents qui lui étaient transmis, il nous dressait un tableau catastrophique de la maladie. En fait il décrivait, ou plutôt, il lui était demandé de décrire aux élèves, le phtisique en phase terminale, toussant et crachant du sang. Puis il sortait des planches de timbres à l’effigie de Pasteur, les élèves étant invités à faire la tournée des chaumières pour récolter quelque argent afin d’alimenter la lutte contre la tuberculose. Difficile de refuser à un enfant qui vient faire la quête à votre porte.

En mars 1961 je suis retourné au collège à mi-temps. À la récréation mon prof de sports s’arrête pour me demander comment j’allais. “Tu crachais du sang !“ me dira-t-il en faisant la moue. Non, je ne crachais pas du sang et je ne toussais pas non plus ! Mais il reproduisait ce qu’on lui avait appris sur la tuberculose qui est d’abord un terme générique regroupant de multiples manifestations qui ne sont pas toutes contagieuses, loin de là. Seule la tuberculose pulmonaire de l’adulte est contagieuse et j’avais fait une tuberculose ganglionnaire. Un jour, j’ai essayé de raconter cette étrange histoire à une médecin spécialiste. C’était au cours d’un colloque à Paris sur les tests Elisa pour dépister la tuberculose. Dès que j’ajoute qu’on en découvrira trois autres, elle enchainera “dès qu’on en trouve un, on en trouve d’autres !“ Oui bien sûr, la contagion ! Exposant cette histoire de grosse goutte à un homéopathe, il me dira que c’est parce que je fais de la rétention toxinique sinon cela ne m’aurait rien fait. Il me connaissait médicalement et il était vrai que je faisais de la rétention toxinique, mais c’était une conséquence de la maladie et de son traitement ! Parlant de la même chose à une militante écolo, elle me répondra que c’était parce que j’étais sensible à cette maladie.  Pourtant mon prof de sports me dira :  “ j’en parlais avec le Principal du collège. On s’était dit que s’il y avait un gars dans le collège sur lequel on aurait parié qu’il ne ferait pas cette maladie, c’était bien toi !“ Ce même Principal me rendant visite alors que j’étais alité, me dira ne pas comprendre : “ vous ne vivez pourtant pas dans un taudis !“ me dira-t-il.

Quand j’essaierai de parler de la grosse goutte de tuberculine, il rétorquera aussitôt qu’il ne faut pas porter atteinte à la cuti qui a montré son utilité. Il m’annoncera aussi que le médecin scolaire viendra me voir. Il n’est jamais venu.

Les personnes à risque de tuberculose

[3] Page « Causes et prévention » :

– « Certaines catégories de personnes sont plus exposées au risque de développer une tuberculose active, soit après une contamination récente, soit par ré-activation d’une tuberculose latente :

  • les personnes immunodéprimées ;
  • les personnes qui souffrent d’insuffisance rénale (risque multiplié par 10 à 26) ;
  • les personnes qui travaillent dans un environnement dont l’atmosphère est chargée en poussières (risque multiplié par 30) ;
  • les diabétiques (risque multiplié par 2 à 4) ;
  • les personnes maigres (IMC inférieur à 18,5, risque multiplié par 2 à 3) ;
  • les personnes qui fument (risque multiplié par 2 à 4 pour une consommation moyenne de vingt cigarettes par jour) ;
  • les personnes qui souffrent d’alcoolisme chronique ou de toxicomanie ;
  • les personnes dont l’alimentation est déséquilibrée (végétalianisme et personnes ayant subi un by-pass de l’estomac, lorsque ces personnes ne reçoivent aucune supplémentation en vitamines) ;
  • certaines familles (terrain génétique favorable).

De plus, les personnes qui vivent dans de mauvaises conditions d’hygiène ou dans des locaux surpeuplés sont plus à risque de développer une tuberculose active : prisons, camps de réfugiés, logements vétustes et trop petits, etc. »

Pour ma part, je ne cochais aucune de ces cases !

Conclusions

De toutes ces anecdotes, il faut conclure que les médecins, les infirmiers, les enseignants comme le public même cultivé croient et propagent des croyances complètement fausses sur la tuberculose et les cutis sans parler du BCG qui évidemment nous aurait évité une telle mésaventure. Comme nous étions tous les quatre négatifs après le test du 2 octobre 1959, le BCG aurait pu être pratiqué sur nous comme cela se fera quelques années plus tard, à partir de 1963.

Dans le cadre de cette vaccination, le test est fait pour s’assurer de l’absence de contamination par un bacille tuberculeux car il avait été établi, d’abord par Calmette et Guérin eux-mêmes, qu’une vaccination BCG dans ces conditions pouvait faire flamber la maladie. Un test positif contre-indique formellement la vaccination par le BCG.

Que nous serait-il arrivé si cette vaccination avait été pratiquée quelques semaines après ce test alors que nous commencions à développer une tuberculose active malgré le test négatif ? La maladie aurait été à coup sûr beaucoup plus grave et je ne suis pas certain que je serais encore là aujourd’hui pour vous en parler. D’ailleurs, si cette étonnante affaire de cutis à très forte dose a pu se dérouler, c’est justement en raison de l’ignorance de l’infirmière et du médecin, ignorance largement partagée et entretenue, pour ne pas dire enseignée. Mais l’Institut Pasteur qui fabriquait la tuberculine pour les cutis savait-il ce que pouvaient produire les fortes doses ? Je peux répondre oui avec certitude car ce produit avait été très largement expérimenté et qu’avant de s’arrêter sur telle dose plutôt que telle autre, de très nombreux dosages avaient été essayés. Il n’y a aucun doute à avoir là-dessus. D’ailleurs, il avait été envisagé de tenter de faire un vaccin avec la tuberculine, ce qui était un objectif logique.

En 1950, le directeur de l’Institut Pasteur avait répondu à cette interrogation « que la tuberculine est un produit d’une si haute toxicité qu’il n’a pas été possible d’en faire un vaccin ».

Au cours d’un grand congrès international de plusieurs semaines à Paris fin 1950, Ustved, professeur à Oslo et organisateur de  vastes campagnes de vaccination par le BCG en Europe, déclarera [5 page 372] :

  • « Le problème des tests tuberculiniques est intimement lié  à l’organisation d’une campagne de masse. Le choix du test tuberculinique le plus satisfaisant est très délicat. En utilisant un test trop concentré, on risque de provoquer de nombreuses réactions très désagréables pour l’individu et dangereuses pour le prestige de la campagne. À l’inverse, en utilisant un test trop dilué, on vaccinerait une forte proportion d’allergiques. »

 Ce qui confirme qu’avec la très forte dose de tuberculine qui nous avait été généreusement octroyée, le fait que le test était négatif est très en faveur d’une absence de contamination à ce moment-là. Voir aussi mon article Aimsib sur l’utilisation de la tuberculine en 1890 par Robert Koch pour tenter de guérir la tuberculose, tentatives qui réveillaient trop souvent le bacille …[6].

 

Bernard Guennebaud
Décembre 2022

Notes et sources
(*) Le triangle de Chiappelli :

[1] https://www.aimsib.org/2022/11/13/tuberculose-et-realite
[2] Pour télécharger le volume 2 de Tissot, allez d’abord sur :
https://bibliotheques.mnhn.fr/medias/doc/EXPLOITATION/IFD/MNHN_105885/constitution-des-organismes-animaux-et-vegetaux
Vous verrez :
« Constitution des organismes animaux et végétaux J. Tissot,…
vol. 2e vol. : Cause et nature de la tuberculose, origine et nature du bacille de Koch, source originelle des virus, constitution élémentaire des tissus
Cote : 105885
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Cliquez sur  “voir le document“.  211 pages incluant  les 57 planches photos.
[3] https://www.vidal.fr/maladies/voies-respiratoires/tuberculose/causes.html
[4] https://www.youtube.com/watch?v=D2_g2N-3tAo&list=PL7ABMToU4aPlfa-kVbBTphJWvnGfPrWZz
[5] Vaccinations contre les maladies contagieuses de l’enfance. Centre international de l’Enfance ; travaux et documents IV ; 1951 ; nombreux auteurs, 500 pages.
[6]  https://www.aimsib.org/2018/12/18/bcg-episode-2-guerir-la-tuberculose-avec-de-la-tuberculine/

Credit photo d’illustration: https://www.facebook.com/lepepere/photos/a.712916655552841/1058917580952745/?type=3

 

 

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