Laurent Mucchielli : interview

Il fallait s’y attendre, quand un immense sociologue formé à l’histoire, de surcroît parfaitement imperméable aux pressions extérieures, décide de publier un ouvrage sur la crise de la Covid-19, les révélations et les mises en accusations pleuvent dru. Toutes y sont disséquées, démontrées, évidemment parfaitement sourcées, on plaint presque tous ceux qui apparaissent au fil du livre car on comprend que, quand la justice se penchera enfin sur leurs implications diverses et variées, leurs projets d’avenir s’en verront radicalement modifiés. Merci à Laurent Mucchielli d’avoir accepté de revenir avec nous sur ce premier tome empli de si désastreuses vérités, mais qui en dit tellement long sur l’état désespérant de nos démocraties : bonne lecture.    

 

 

Vincent RELIQUET (V.R.) – Cher Laurent, il faut d’abord te présenter à notre public bien que probablement ce préalable ne soit plus d’une très grande utilité aujourd’hui. Tu es chercheur au CNRS depuis 1997, médaillé par lui, élevé au grade de directeur de recherche en 2006, tu as participé à la réalisation d’une foule énorme d’ouvrages et d’articles (*). Depuis le début de la crise sanitaire, tu as publié toute une enquête sur ton blog chez Mediapart mais hélas ta liberté de parole, qu’on aurait attendu comme plutôt encouragée sur ce type de site, t’a valu de découvrir la censure en août 2021, poussé par un collectif de « bien-pensants » qui souhaitait laisser toute la place au récitatif covid officiel. Tu leur as pardonné depuis ?

Laurent MUCCHIELLI  (L.M.) :

Non, j’estime que ce que fait Mediapart depuis le début de cette crise est impardonnable. Je peux évidemment comprendre toutes les personnes qui doutent et qui hésitent, ou encore celles qui ont suivi le discours officiel au début mais le regrettent aujourd’hui. J’en connais beaucoup, y compris dans mon entourage. Nous avons tous été victimes d’une propagande industrielle et politique massive. Mais je ne peux pas oublier celles et ceux qui ont joué un rôle aussi actif et nocif dans le débat public que Mediapart. La chasse à l’homme qu’ils ont décidé d’orchestrer (avec d’autres journalistes parisiens, au Monde, à Libération, à l’Express, à Marianne notamment) au détriment de Didier Raoult est une faute à la fois intellectuelle et morale car, derrière le personnage qui a évidemment ses qualités comme ses défauts, des questions majeures de stratégie sanitaire étaient en jeu. Questions qu’ils ont fortement contribué à rendre invisibles et incompréhensibles en concentrant l’attention sur une seule personne, déchaînant contre elle cette espèce de cancel culture qui a envahi les réseaux sociaux et où tous les coups sont permis dans le but de tuer symboliquement les personnes. Et ils ont fait le même coup à d’autres comme le Dr Louis Fouché. Loin d’aider à réfléchir collectivement et d’apporter du débat contradictoire, ils ont parfaitement servi la propagande industrielle et politique du moment. Ceci s’est illustré jusqu’à la caricature vis-à-vis des nouvelles thérapies géniques improprement appelées « vaccins ». Leur positionnement pro-vax (pour reprendre ces raccourcis ordinaires du débat public) est confondant de simplisme et de naïveté. Ils ont ainsi joué un rôle important dans le naufrage de la gauche politique durant cette crise. Pire encore, ils ont joué un rôle dans la dérive autoritariste d’un gouvernement qui n’a trouvé aucun contre-pouvoir capable de lui rappeler les limites à ne pas franchir.

Leur attitude à mon égard participe de cet ensemble. Pour faire court, en transformant mon blog en une sorte de mini-revue en ligne où j’ai publié près de 70 articles et 46 auteurs (universitaires et/ou médecins pour la plupart), je leur amenais une véritable contre-enquête, un véritable débat contradictoire et accessoirement des lecteurs. Ils auraient pu s’en réjouir, nous aurions même pu travailler en collaboration plus étroite. J’ai tenté à plusieurs reprises de dialoguer en écrivant à Edwy Plenel, à Fabrice Arfi ainsi qu’à la rédaction de la partie blog du journal. Je n’ai reçu en retour qu’un grand silence méprisant. Eux qui prétendent défendre la liberté d’expression, valoriser les lanceurs d’alerte et faire alliance avec les intellectuels critiques, ont pourtant fait exactement le contraire. Ils m’ont d’abord invisibilisé le plus possible sur leur propre site (via des procédés de shadow-banning), et finalement ils m’ont censuré à quatre reprises. Et pas simplement moi mais aussi les universitaires et les médecins que je publiais, nous traitant de complotistes et de propagateurs de « fake news », en chœur avec des lobbies liés aux industries pharmaceutiques, se réclamant de la « vraie science » et qui sont spécialisés dans le harcèlement en ligne, l’attaque ad hominem et la dénonciation calomnieuse. On a connu mieux que ce parti-pris superficiel digne d’une chaîne d’information en continu. Edwy Plenel se vante d’avoir sorti l’affaire Cahuzac, il devrait se souvenir que cette affaire était aussi celle de mallettes qui transitaient entre la Suisse et Paris, ayant pour origine un grand industriel de la pharmacie qui est devenu milliardaire grâce à la gestion calamiteuse de cette épidémie.

Se faisant, Mediapart s’est mis au même niveau que tous ces petits sites de prétendu « fact-checking » que l’on voit fleurir sur Internet et qui permettent à quelques influenceurs à la mode de propager leur médiocrité intellectuelle dans le débat public. Je pense à « Fact and furious » créé par un ancien militaire (Antoine Daoust) qui se fait manifestement un devoir de protéger le gouvernement contre toute critique de sa politique de santé. Je pense à « Conspiracy watch », dont le fondateur (Rudy Reichstadt) est un proche des milieux de pensée extrême-droitisant, dont on se souvient de la façon dont, après un sondage de l’IFOP, il se moquait des « pauvres gens » qui pouvaient penser que le virus avait pour origine un accident de laboratoire à Wuhan. Ce ridicule ne l’empêche pas d’être invité jusque sur les plateaux de télévision du service public, à la place des chercheurs qui ont de véritables compétences sur ce sujet. Je pense encore à « La Tronche en biais », alias Thomas Durand, un influenceur qui utilise YouTube et des outils de « co-financement » anonymes comme Tipeee pour faire commerce de la propagande, qui est aussi accueilli comme rédacteur par le magazine de l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS), un lobby aux positions pro-OGM, pro-glyphosate, pro-big-pharma, pro-nucléaire et j’en passe, tout en se permettant de se proclamer « indépendant » (quelle farce !).

Alors oui, c’est bien un naufrage pour Mediapart, et cela m’attriste beaucoup car j’étais un soutien et un abonné de la première heure, qui donc s’en ira désormais proposer ailleurs son travail de chercheur désintéressé et d’intellectuel engagé.

V.R. – Quand on veut savoir « à qui on a affaire » aujourd’hui s’agissant d’un personnage public, c’est très simple : on regarde d’abord ce qui s’écrit d’officiel sur le web et en général on est vite renseigné sur la façon dont l’establishment le considère. Par exemple ta page Wikipédia [1] nous fait comprendre immédiatement que tu sens depuis peu franchement le souffre, regarde :

Wikipedia, capt. écran

Tu as suscité « une guerre d’édition » ! Espérons que tu ne vas pas faire sauter le serveur de leur site et quelques lignes plus loin la catastrophe se confirme : tu serais l’auteur de « propos controversés et propagateur de fausses nouvelles sur la dangerosité du virus…/… participant à la désinformation sur la pandémie de la Covid-19 ». On pourrait pleurer de tristesse devant tant d’imbéciles accusations, dont la puérilité et l’absence de fond démontre toute la nullité partisane de tes détracteurs chez Wikipedia. Sérieusement, de tels écrits t’ont-ils blessé voire gênés dans l’exercice de ton travail quotidien de chercheur ?

Laurent MUCCHIELLI réponds :

 Tu connais le dicton sur la bave du crapaud et la blanche colombe… Non, sincèrement, je ne suis pas atteint par le torrent d’imbécilités plus ou moins malveillantes qu’on peut trouver sur Internet aujourd’hui me concernant. Cela ne fait que confirmer et exemplifier mon analyse du fonctionnement du débat public. L’un des volets de mon enquête consiste précisément à essayer de comprendre comment un ensemble d’acteurs (parmi lesquels la plupart des journalistes) se sont de facto associés pour organiser la clôture du débat public, l’érection de frontières entre ce qu’il est permis ou non de penser et de dire, contribuant massivement à imposer comme seule légitime la narration globale que j’appelle la Doxa du Covid. Quant à Wikipedia, chacun comprend désormais que cette entreprise collective au départ pleine de promesses démocratiques (comme Internet et les réseaux sociaux de manière générale) et animée par des bénévoles enthousiastes, est devenue le lieu d’une lutte d’influence où les trolls et les lobbyistes se déchainent pour imposer la vision du monde découlant de leurs intérêts politiques ou commerciaux. C’est triste là encore, mais c’est la réalité. Tous les chercheurs et tous les enseignants doivent en tirer les leçons et expliquer notamment aux jeunes qu’ils ne doivent pas manipuler ce site naïvement. Wikipedia n’est pas une « encyclopédie en ligne » où l’on pourrait se faire une connaissance minimale de l’état des savoirs sur n’importe quelle question. Beaucoup de contenus sont utilement informatifs mais ils perdent toute neutralité dès que les questions posées prennent une dimension politique ou économique. Ils deviennent alors au mieux l’expression du point de vue dominant dans le débat public d’un pays, à un moment donné de son histoire, au pire l’expression de la petite propagande des influenceurs qui ont réussi provisoirement à gagner la « guerre d’édition » dont tu parles.

 

V.R. – Avant d’aborder le fond de ton dernier ouvrage, je souhaiterais que tu visionnes ce sujet diffusé pendant le JT de TF1 en février 2010 par Corinne Lalo (aimsib) [2] et Etienne Bourbotte, au sujet de la grippe porcine de 2009 :

Laurent MUCCHIELLI, réponse : 

Ce rappel est salutaire. L’espèce d’amnésie qui a frappé un peu tout le monde en février-mars 2020 est l’une des choses qui m’a le plus étonné. L’affaire de la pandémie de grippe H1N1 en 2009-2010 a en effet de nombreux points communs cruciaux avec ce que nous venons de vivre. Cela ressemble à une sorte de premier essai non transformé pour les industries pharmaceutiques, le philanthrocapitalisme de la galaxie Bill Gates et tous leurs affidés que l’on trouve dans les organisations supranationales comme l’OMS et la Commission européenne, ainsi que dans la haute administration sanitaire et parmi les politiques dans de nombreux pays du monde, à commencer bien sûr par les riches pays occidentaux. Le drame est que nous n’avons pas su tirer les leçons d’H1N1. La raison fondamentale, à mon avis, est la sous-estimation de l’ampleur et de l’efficacité des trafics d’influence et de la corruption organisée par ces industries et par ce philanthrocapitalisme. Les quelques outils de contrôle supplémentaires mis en place après 2009 ont montré leurs terribles limites. A quoi cela sert-il d’obliger les médecins à déclarer leurs liens d’intérêts avec les industries si, le moment venu, aucun d’entre eux n’a l’honnêteté d’en faire état quand il intervient dans les médias ou même dans une enceinte parlementaire ? Et si aucun journaliste n’a ni la présence d’esprit de faire trois clics sur son ordinateur pour chercher ces liens d’intérêt, ni le courage de les signifier à son interlocuteur lorsque celui-ci s’exprime publiquement sur les stratégies sanitaires à adopter ?

Voyez aussi le déni de la pharmacovigilance en matière d’effets indésirables des nouvelles thérapies géniques. Cette affaire trahit globalement un échec cuisant pour la démocratie sanitaire à laquelle beaucoup travaillent depuis des décennies. Nos instruments de contrôle de l’industrie et de protection des populations sont clairement sous-calibrés. Ils n’ont pas pesé lourd face à la déferlante de la communication biaisée de l’OMS et des gouvernements, suscitée par les puissances financières qui leur murmurent aux oreilles.
Entendons-nous bien : l’épidémie de 2020-21 est clairement plus redoutable que celle de 2009. Cela semble dû essentiellement à la contagiosité et la mutagénicité plus fortes du Sars-CoV-2 dont il est presque certain désormais qu’il est le produit accidentel d’expériences virologiques de laboratoire menées en Chine avec le soutien financier massif des Etats-Unis. Or, précisément, les corrupteurs sont allés jusqu’à tenter d’interdire même ce questionnement sur l’origine du virus, le qualifiant de « complotiste ». Et la plupart des gens sont tombés dans le panneau.

 

V.R. – Tu portes à notre connaissance une nouvelle proprement inouïe et qui a échappé à nombre d’entre nous : En 2020 le vrai patron de l’OMS, à savoir son financier Bill Gates, a réussi à publier un article dans le New England Journal of Medicine ! [3] On y lit qu’il veut sauver des vies, ce qui demeure pour le moins suspect quand on connaît sa position résolument « réductionniste » qu’il souhaite appliquer à la population du monde. Mais le meilleur est à venir, il écrit : « …/… Scientists sequenced the genome of the virus and developed several promising vaccine candidates in a matter of days, and the Coalition for Epidemic Preparedness Innovations is already preparing up to eight promising vaccine candidates for clinical trials .” [4] Ton avis sur l’intrusion de Gates l’informaticien dans la médecine des épidémies ?

Laurent MUCCHIELLI, sa réponse : 

Pendant longtemps, j’ai vécu sur le souvenir de mes cours de fac en droit international (j’ai fait du droit avant de faire de l’histoire et de la sociologie) où l’on présentait à juste titre l’OMS comme une organisation financée par les pays occidentaux. Mais c’était à la fin des années 1980… En 2019, mon attention avait été attirée par le petit livre d’un journaliste français (Lionel Astruc, L’art de la fausse générosité. La fondation Bill et Melinda Gates, Actes Sud). Et en 2020, dès que j’ai compris que l’OMS était en train de créer une nouvelle panique mondiale, comme en 2009, j’ai commencé à chercher des informations sur les enjeux financiers sous-jacents. J’ai, entre autres, fait une chose très simple : regarder le financement de l’OMS. J’ai fait alors cette « découverte » :  Le premier financeur de l’OMS n’est plus le gouvernement américain, c’est un financeur privé : Bill GatesJ’ai poursuivi en essayant d’objectiver le réseau de fondations et d’associations philanthropiques, de partenariats et de systèmes de dons (défiscalisés bien entendu), mis en place ces vingt dernières années par celui qui fut longtemps l’homme le plus riche du monde (avant d’être détrôné par Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon, et Elon Musk, propriétaire de Tesla). J’ai alors compris que le Sars-CoV-2 était l’occasion rêvée, l’aubaine tant attendue, de déployer le grand projet de vaccination intégrale du monde dont Bill Gates ne se cache pas, et ce depuis des années. Sa présence dans le champ des politiques mondiales de santé est devenue tellement banale que l’on peut en effet assister, médusé, à ce que je raconte page 77 de mon livre, à savoir le fait que Bill Gates peut se permettre et se voir autorisé, par une rédaction soi-disant scientifique et indépendante, à publier un article dans une des plus prestigieuses revues médicales du monde (le New England Journal of Medicine) en avril 2020. Article dans lequel on trouve un concentré de la doxa : c’est la « pandémie du siècle », le virus est hyper-dangereux même pour les gens « en bonne santé », mais tout va bien car la science va fabriquer un vaccin sûr et efficace « en quelques jours », là où il fallait des années jusque-là. On croit rêver, et pourtant ce n’est pas le cas.

 

V.R. –  A partir de la page 79, tu nous brosses un portrait glaçant de l’expansion financière des firmes pharmaceutiques et parallèlement tu cites Jean-Dominique Michel, un autre de nos membres d’élite, qui ne cesse jamais de dénoncer la « corruption systémique » [5] régulièrement utilisée par ces entreprises. Quelques exemples consternants sont relatés dans ton ouvrage. Sans tout révéler, peux-tu nous en dire un mot ici ?

Laurent MUCCHIELLI, réponse : 

L’essentiel tient en trois constats :
1) Le premier est celui de l’importance de ce secteur économique et financier. Avec près de 1 200 milliards de dollars américains de chiffre d’affaires en 2019, soit une multiplication par 3 depuis le début du 21ème siècle, l’industrie pharmaceutique est devenue l’un des plus grands secteurs industriels du monde et peut-être le plus rentable de tous. Les grands groupes pharmaceutiques qui se sont constitués rivalisent désormais avec l’industrie pétrolière, les groupes bancaires, les GAFAM, l’industrie du luxe, l’industrie automobile et les cigarettiers. Ils font partie de ces multinationales interconnectées par le jeu des participations croisées dans l’actionnariat, qui dominent le monde et y imposent leurs intérêts. Ils développent également les mêmes stratégies de maximisation des profits que la plupart de ces multinationales (rachats d’entreprises, licenciements dans les pays d’origine, délocalisation dans les pays pauvres, tricherie sur les prix, évasion fiscale, lobbying intense, détournement des aides publiques à leur profit, etc.). Les patrons de ces firmes sont parmi les mieux payés du monde et les dividendes qu’elles reversent à leurs actionnaires sont parmi les plus importants du monde. Ils sont donc devenus un acteur central du nouveau capitalisme financier dominant la planète.
2) Le second constat est que ces gigantesques groupes pharmaceutiques dominent non seulement le marché mondial des médicaments, mais ils influencent aussi de plus en plus la recherche médicale, au point de la contrôler en grande partie dans certains domaines. Les fameux essais cliniques (ou essais thérapeutiques) sont financés et réalisés très majoritairement par ces industriels, parfois à la demande des agences publiques comme la Food and Drug Administration aux USA ou l’Agence Européenne du Médicament. C’est dans cette mouvance politico-industrielle que s’est fixée une sorte d’ersatz de l’Evidence Based Medecine (« médecine fondée sur des preuves ») avec ces méthodes statistiques de randomisation donnant l’illusion d’une démonstration mathématique infalsifiable, à grand renfort de données collectées à l’aide de moyens financiers que seule l’industrie peut généralement s’offrir, créant ainsi des standards artificiels souvent inaccessibles pour la recherche publique indépendante. Le principe est de substituer le calcul statistique à l’expérience clinique, la démonstration mathématique à la pratique médicale. Conséquence d’un tel système : un nombre croissant de médecins-chercheurs multiplient les publications sur les maladies et les médicaments, lors même qu’ils n’en ont pas de pratique médicale. Les malades sont devenus de simples unités statistiques.
3) Et le troisième constat est relatif au trafic d’influence et à la corruption, qui est plus forte que jamais. Les laboratoires payent des études à ces médecins-chercheurs testant leurs médicaments, ils en déterminent les protocoles et vont jusqu’à payer plusieurs milliers d’euros par patients inclus dans l’étude. Ils organisent également des boards et autres « réunions stratégiques » dans lesquels les médecins-chercheurs sont associés à la détermination des projets des laboratoires et pour lesquels ils sont fréquemment payés entre 1 000 et 2 000 euros la journée. Les laboratoires financent également les voyages et tous les frais de ces médecins-chercheurs pour qu’ils aillent présenter leurs résultats dans des colloques internationaux dont l’organisation est elle-même très largement financée par les industriels. Dans certains cas, ces derniers vont jusqu’à réaliser eux-mêmes les études dans leurs laboratoires et proposer ensuite à des médecins universitaires plus ou moins renommés de les signer de leurs noms. Cela s’appelle le ghostwriting et a donné lieu à de nombreuses fraudes ces dernières années, à l’image du Lancet Gate en mai 2020.
Mais la question de la corruption ne se limite pas à l’univers médical. Ce qui donne à la corruption une ampleur démesurée, c’est aussi la transformation des rapports entre organisations publiques et privées. En cause, la circulation des mêmes personnes entre ces deux univers aux logiques de fonctionnement et aux finalités pourtant théoriquement opposées (le bien public pour les unes, l’enrichissement personnel pour les autres). Au-delà même du phénomène que l’on appelle en France le « pantouflage », le problème majeur qui se pose désormais est celui du changement de la nature de ces relations. Nous avons été habitués à penser un monde dans lequel les puissances publiques (Etats et organisations supranationales) sont un peu les gendarmes du monde économique privé. Or, ce monde est en train de disparaître sous nos yeux.  Nous entrons dans un monde où les puissances publiques deviennent des partenaires des groupes commerciaux privés dont certains ont de fait acquis autant de pouvoir qu’un Etat. Ceci se voit très bien dans plusieurs pays, dont la France. Ceci devrait faire l’objet de grandes discussions politiques. Je n’en vois guère pour le moment.

 

V.R. – : De Gilead à Air France, tu me vois venir ? Qu’est-ce qu’il faut retenir en peu de mots sur cette énorme boite américaine méconnue en France qu’est Gilead ?

Laurent MUCCHIELLI : 

– Le groupe américain Gilead Sciences emploie près de 12 000 personnes et a fait un chiffre d’affaires de 22,5 milliards de dollars en 2019. Parmi ses actionnaires, figurent certains des plus gros fonds d’investissement américains. Le premier est The Vanguard Group, concurrent direct de Black Rock (le plus gros gestionnaire d’actifs du monde et l’un des plus importants actionnaires du CAC40). Vanguard est par ailleurs le premier actionnaire d’Apple, possède 5% d’Amazon et est entré au capital de nombre de grandes entreprises françaises. Même chose pour le second actionnaire de Gilead, Capital Research and Management, qui possède des parts du capital de la Caisse des Dépôts et Consignations, de Veolia, de Bouygues, de Schneider, de la Société Générale, de Pernod et d’Air France. Nous sommes donc bien ici au cœur du capitalisme financier actuel, c’est-à-dire celui qui est entièrement dominé par les banques et autres fonds d’investissements contrôlant l’actionnariat des grandes entreprises et ayant pour logique fondamentale la maximisation de la valeur pour l’actionnaire.

Au demeurant, la suite n’aurait pas dû surprendre tant Gilead était déjà connu pour pratiquer une exagération des prix à des fins d’enrichissement maximum. Je rappelle dans mon livre l’affaire du Sovaldi dans la lutte contre l’hépatite C, affaire qui a fait la fortune de Gilead. Dès le tout début de la crise du Covid, ce dernier a voulu refaire le coup en faisant acheter par tous les pays du monde un antiviral pour traiter le Covid : le Remdesivir. L’industriel y travaille depuis l’épidémie du virus Ebola qui traversa l’Afrique de l’Ouest en 2014-2015. Les recherches montreront pourtant par la suite que ce médicament était déjà inefficace sur Ebola. Mais qu’à cela ne tienne, face à la nouvelle pandémie de coronavirus, tout l’enjeu pour cet industriel était de convaincre que son produit était le plus efficace pour traiter les personnes infectées, et lancer ainsi sa production industrielle de masse. Il a en ce sens déployé toute sa puissance de lobbying et de trafic d’influence, au point que, dès le départ, l’OMS et un certain nombre de chercheurs importants dans plusieurs pays occidentaux (tels Yazdan Yazdanpanah et Franck Chauvin en France, tous deux membres du Conseil scientifique Covid-19, le second étant aussi le président du Haut Conseil de la Santé Publique qui fera d’emblée barrage à la proposition de l’IHU de Marseille au profit du Remdesivir) annonçaient déjà que l’antiviral de Gilead était la solution la plus prometteuse. Étrangement, tandis qu’elle bloquera l’hydroxychloroquine, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) délivrera très rapidement une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le Remdesivir.
On sait aujourd’hui que ce médicament est inefficace et même dangereux. Il n’est quasiment plus utilisé dans les pays occidentaux. Mais si Gilead est passé une fois encore à côté du jackpot mondial, il s’est quand même enrichi grâce à la seconde grande stratégie des nouvelles industries capitalistiques : la spéculation boursière. Enfin, son intense lobbying lui permettra de parvenir tout de même à fourguer pour 1,2 milliard de son produit à l’Union Européenne fin 2020, avant que cette dernière ne s’en débarrasse vers les pays pauvres en ayant de surcroît l’indécence de présenter la chose comme de la générosité. La chose se reproduira du reste avec le « vaccin » d’AstraZeneca. Je note toutefois que certains pays africains (comme le Nigeria) ont bien compris l’arnaque et répondent « non merci » à cette fausse générosité.

 

V.R. – Le délire corruptif qui règne à l’Agence Européenne du Médicament (EMA) semble t’avoir particulièrement intéressé, je te remercie d’ailleurs d’avoir cité un de mes articles dans ta démonstration. Ce passage de ton livre est vraiment sidérant…

Laurent MUCCHIELLI : 

– L’affaire Ursula Von der Leyen est un révélateur du trafic d’influence et de la corruption qui sévissent en effet au sein de la Commission européenne et d’agences comme l’EMA. Madame négocie personnellement avec le PDG de Pfizer des contrats dont le contenu est étrangement tenu top secret, tout en ayant un mari travaille dans l’industrie des biotechs et un fils qui travaille chez Mc Kinsey, le cabinet de conseil qui s’enrichit démesurément en organisant la communication (i.e. la propagande) des campagnes vaccinales de nombreux pays (dont la France). Et quand on demande des comptes à madame, elle répond qu’elle a malencontreusement effacé ses conversations avec monsieur Bourla, avec lequel on la voit s’enlacer à la cérémonie de l’Atlantic Council récompensant les meilleurs business-leaders du moment. On nous prend vraiment pour des imbéciles et c’est gros comme le nez au milieu du visage. Et pourtant, à une ou deux exceptions près (comme Etienne Campion à Marianne), aucun journaliste ne s’en est inquiété. Voilà typiquement le sujet d’intérêt public majeur dont un journal comme Mediapart aurait dû s’emparer, plutôt que de s’enfermer dans sa haineuse petite entreprise de démolition de Didier Raoult. Et les intellectuels ne valent guère mieux hélas. Où sont passés tous les universitaires et les journalistes dits « d’investigation » qui ont travaillé ces dernières années sur ces phénomènes de lobbying et de corruption organisée par les industriels, comme sur les nouvelles formes de marketing, de propagande et autres méthodes de story telling ? Toute cette affaire est une dramatique défaite de la pensée.

 

V.R. – Tu abordes ensuite le point le plus crucial de ton livre, à mon avis, et c’est ce que tu appelles le « viol des foules », qui ne comprend pas cette manipulation mentale abominable se met immédiatement en position de se faire à nouveau duper lors de la prochaine crise, le Dr Pascal Sacré avait déjà abordé ce phénomène chez nous, il y a un an [6]…

Laurent MUCCHIELLI, réponse : 

– J’ai intitulé ce chapitre « Le viol des foules par la propagande politique », reprenant le titre d’un vieux livre de Serge Tchakhotine, paru en 1939, interdit en France et même brûlé ensuite par la Gestapo. Les dictatures n’aiment pas que l’on objective leurs stratégies d’endoctrinement des masses. Mais il faut croire que les démocraties ne l’aiment pas non plus. A moins qu’elles ne soient déjà plus vraiment des démocraties. Quoi qu’il en soit, j’analyse effectivement les formes et les contenus de l’intense propagande que le gouvernement français (parmi d’autres) a déployé pour faire croire à la population que le vaccin était la fin de l’histoire, qu’il fallait d’urgence injecter à tout le monde (adultes, personnes âgées, enfants, femmes enceintes) ces produits prétendus « totalement sûrs », qui allaient « nous débarrasser de l’épidémie » (en bloquant la contagion) et qui étaient « efficaces à 95% » pour empêcher les formes graves de Covid. Ah, la magie des chiffres…

Je montre que, pour réaliser cette grande manipulation, le gouvernement a usé de toutes les ficelles et tout le registre de la propagande : technique de « la blouse blanche » consistant à envoyer dans les médias des médecins triés sur le volet pour vanter les mérites de la nouvelle politique vaccinale, technique du « choix truqué » consistant à placer les citoyens devant un prétendu choix entre la solution qu’on veut leur imposer et une fausse alternative en réalité inacceptable (du genre : préférez-vous être vaccinés ou reconfinés ?), et enfin bien entendu la technique de « la grenouille ébouillantée » consistant à amener progressivement les gens vers le point d’arrivée prévu en réalité dès le départ, mais en y allant par étapes, à coups de demi-mensonges successifs, afin de faire accepter très progressivement quelque chose qui, si il avait énoncé d’emblée, aurait été jugé inacceptable pour beaucoup. En l’occurrence, il fallait amener doucement les citoyens à renoncer à une de leurs libertés fondamentales en acceptant l’idée que seule une vaccination intégrale et forcée de la population s’imposait pour nous « libérer » de l’épidémie.

 

V.R. – L’heure de nous quitter est venue. Nous ne sortons pas de ton interview beaucoup plus optimiste qu’au moment où nous l’avons abordée, mais avec une envie bien plus grande de dévorer ton passionnant bouquin. Vivement le tome II, on s’y prépare avec délectation. Ton mot de la fin ?

Laurent MUCCHIELLI : 

– D’abord je te remercie de me donner ainsi la parole et de traiter mon travail avec sérieux. Le tome 2 paraîtra en mars, il reprendra les meilleurs « épisodes » de ma série initiée en mars 2020, avec 40 chapitres et 30 auteurs. C’est un travail collectif qui n’est certainement pas parfait mais dont je suis fier et qui me donne le sentiment d’avoir fait ce que je devais faire.

Ensuite un mot pour dire que j’avais depuis longtemps l’habitude d’être attaqué, essentiellement par l’extrême droite, du fait de mes travaux sur la sécurité (qui montrent notamment comment on passe là aussi son temps à effrayer la population pour mieux vendre de l’idéologie sécuritaire et des technologies très coûteuses comme la vidéosurveillance). Mais depuis le début de la crise du Covid, j’ai été couvert d’insultes et de calomnies à un point que je n’avais jamais connu. Et surtout, indépendamment des affidés des industriels et des intellectuels de cour (comme le très macroniste Gérald Bronner qui a publié contre moi en août 2021, dans Le Monde, une tribune aussi agressive que dénuée de contenu, avant d’être nommé par l’Elysée à la tête d’une commission), la plupart de ces insultes sont venues de gens qui disent appartenir à la gauche intellectuelle et politique. Certains sont même allés jusqu’à m’accuser de complicité avec l’extrême droite, moi qui la combat depuis 30 ans et qui y avait consacré tout mon dernier livre paru juste avant le premier confinement (La France telle qu’elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste, Fayard, 2020). C’est dire à quel point nous sommes en pleine confusion mentale. Il faudra du temps pour en sortir et essayer de rebâtir quelques digues intellectuelles et éthiques. La chose est essentielle car l’histoire est loin d’être terminée. D’autres crises sécuritaires, sanitaires et écologiques sont à venir. Et si nous ne sommes pas mieux armés pour les affronter, j’ai peur que les dégâts individuels et collectifs soient plus importants encore, notamment que l’idéal démocratique finisse par disparaître au profit d’une gestion autoritaire des biens publics par des intérêts privés.

 

 

 

Crédit photo : © Editions Eolienne

(*) Ouvrages de Laurent MUCCHIELLI :

Direction d’ouvrage

  • Histoire de la criminologie française, Paris, L’Harmattan, 1995, 535 p. (ISBN2-7384-3136-4, notice BnF no FRBNF36685469)
  • Avec Massimo Borlandi, La Sociologie et sa méthode : les règles de Durkheim un siècle après, Paris, L’Harmattan, 1995, 415 p. (ISBN2-7384-4033-9, notice BnF no FRBNF35804890)
  • Avec Dominique Duprez, Les Désordres urbains : regards sociologiques, Chêne-Bourg-Genève, Médecine et hygiène, 2000, 440 p. (ISBN2-8257-0726-0, notice BnF no FRBNF37733537)
  • Avec Philippe RobertCrime et sécurité : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 2002, 438 p. (ISBN2-7071-3620-4, notice BnF no FRBNF38811277)
  • Gendarmes et voleurs : de l’évolution de la délinquance aux défis du métier, Paris, L’Harmattan2007
  • Avec Véronique Le Goaziou, Quand les banlieues brûlent : retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, La Découverte, 2eédition 2007
  • Avec Marwan MohammedLes Bandes de jeunes : des blousons noirs à nos jours, Paris, La Découverte, 2007
  • La Frénésie sécuritaire : retour à l’ordre et nouveau contrôle social, Paris, La Découverte, 2008
  • Avec Pieter Spierenburg, Histoire de l’homicide en Europe, de la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, La Découverte, 2009
  • Avec Xavier Crettiez, Les Violences politiques en Europe : un état des lieux, Paris, La Découverte, 2010, 336 p. (ISBN9782707164582)
  • Avec Christian Mouhanna,La police contre les citoyens ?, Nîmes, Champ social, coll. « Question de société », 2011, 182 p. (ISBN978-2-35371-105-5)

En collaboration

 

 

Notes et sources:
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Mucchielli
[2] https://www.aimsib.org/2021/12/09/encore-des-hormones-mais-pour-combien-de-temps/
[3] Gates B,Responding to Covid-19 — A Once-in-a-Century Pandemic? N Engl J Med 2020; 382:1677-1679 DOI: 10.1056/NEJMp2003762 https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2003762
[4] Traduction : Les scientifiques ont séquencé le génome du virus et développé plusieurs vaccins candidats prometteurs en quelques jours, et la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations prépare déjà jusqu’à huit vaccins candidats prometteurs pour des essais cliniques.
[5] Michel JD, Covid : anatomie d’une crise sanitaire, Paris, HumenSciences, 2020, p.109
[6] Pascal Sacré, « Pavlov ou la Covid-19, comprendre l’inhibition transmarginale » https://www.aimsib.org/2021/01/17/pavlov-ou-la-covid-19-comprendre-linhibition-transmarginale/

Auteur de l'article :

Lire tous les articles de

Aller au contenu principal