L’Hexagone pourrait à première vue s’enorgueillir que sa glorieuse obstétrique éclaire le Monde de sa vision avant-gardiste sur la question mais l’examen objectif des faits devraient lui imposer plus d’humilité. La MAP: Comment, pour qui, pour quoi faire et pour quelle prise en charge, merci au Dr Laurent Vercoustre, ancien Chef de Service en gynéco-obstétrique de nous éclairer du haut d’une carrière complète passée à réfléchir sur ce thème. Bonne lecture.   

Introduction

Qu’une patiente ait quelques contractions utérines, que son col soit un peu raccourci, et voilà qu’on lui colle l’étiquette de Menace d’Accouchement Prématuré ou MAP. Or cette MAP est une entité extrêmement discutable.Cherchez cette terminologie dans un précis d’obstétrique des années 60’, vous ne l’y trouverez pas. Cherchez la MAP dans la littérature anglo-saxonne, vous ne l’y trouverez pas non plus.

Nous les obstétriciens français, nous sommes les seuls à nous offrir les privilèges du mot menace pour définir une pathologie.

C’est bien pratique de parler de menace ! Le mot menace permet de garder la face quoiqu’il arrive : si l’accouchement prématuré se produit, je l’avais bien prédit ! Si la patiente arrive à terme, ce n’était après tout qu’une menace ou bien ma thérapeutique a été efficace.

La menace d’accouchement prématuré, est une merveilleuse invention qui permet au Knock qui sommeille en chacun de nous de considérer toute grossesse normale comme une MAP qui s’ignore.

Un modèle conceptuel erroné

La représentation conceptuelle du mécanisme de l’accouchement prématuré procède d’un schéma simpliste encore trop répandu. Dans ce modèle, ce sont les contractions qui initient le processus et qui constituent l’essentiel du phénomène pathologique. L’activité physique, le stress, induisent l’activité utérine contractile.

D’où l’idée que la séquence, effort physique, contractions, modification du col, si elle se prolonge, aboutit finalement à l’accouchement. Cette représentation relie les phénomènes observés selon une apparente et trompeuse évidence.

Elle ne séduit pas seulement par sa simplicité mais parce qu’elle donne prise à tout un déploiement de thérapeutiques où l’hospitalisation trouve une place prépondérante. L’hospitalisation permet d’imposer le repos au lit, de surveiller les contractions par des systèmes de monitorage, et d’administrer souvent par perfusion des traitements dits tocolytiques qui ont la propriété d’abolir les contractions utérines.

Et en effet, quand on est convaincu de l’enchaînement que nous avons décrit, comment ne pas être séduit par ces médicaments tocolytiques qui suppriment le plus souvent de façon radicale les contractions.

Le modèle de Roméro

Cette représentation simpliste de l’accouchement prématuré est malheureusement encore trop présente à l’esprit des obstétriciens français. Elle contraste avec le modèle beaucoup plus élaboré que l’on rencontre dans la littérature anglo-saxonne. Pour présenter ce modèle, il nous faut convoquer l’américain Romero, clinicien et chercheur à Detroit. Par la somme considérable de ses publications, il s’est imposé, comme une référence mondialement reconnue dans le domaine de l’accouchement prématuré.

Dans une revue sur la physiopathologie de l’accouchement prématuré (1) , revue étayée par quelques 437 références bibliographiques, Romero nous invite à conceptualiser l’accouchement prématuré comme un syndrome. L’accouchement prématuré devient «The preterm parturition syndrome » ou « syndrome de parturition prématurée ».

Ce syndrome est caractérisé par cinq critères :

  • Des étiologies multiples ;
  • Une longue latence clinique ;
  •  une participation du fœtus ;
  • les manifestations cliniques sont souvent adaptatives par leur nature ;
  • des interactions entre des facteurs génétiques et environnementaux prédisposent à leur apparition.

The « terminal commun pathway« 

Ainsi « la menace d’accouchement prématurée, (MAP) », terminologie strictement française, n’exprime pas la dimension multifactorielle de l’accouchement prématuré.

Mais surtout, dans la conceptualisation de Romero, il apparaît que nos mesures thérapeutiques interviennent longtemps après le début du processus pathologique à un moment où tout est déjà probablement joué.

Dans le modèle anglo-saxon, les contractions utérines, les modifications du col, représentent la « terminal commun pathway », c’est dire la voie terminale commune. Cette voie terminale commune se trouve en aval de processus pathologiques variés dans lesquels des phénomènes inflammatoires et microbiens jouent un rôle majeur.

En administrant des tocolytiques, nous agissons sur des symptômes et abolissons un mécanisme adaptatif. Les contractions représentent en effet dans le modèle de Romero, une façon pour le fœtus en danger d’organiser son propre sauvetage : Le fœtus participe au processus, c’est le troisième critère de définition du syndrome.

L’accouchement prématuré est donc souvent l’expression d’une pathologie qui atteint en premier lieu le fœtus. La poursuite de la grossesse à tout prix n’est pas nécessairement la meilleure solution.

Enfin, si les médicaments tocolytiques se sont montrés capables de prolonger la grossesse de quelques jours, aucune étude n’a pu prouver jusqu’à aujourd’hui un bénéfice sur la santé des nouveau-nés. Le modèle de Romero explique cet échec, les médicaments tocolytiques n’agissent aucunement sur un processus pathologique installé depuis longtemps et dont les causes se situent bien en amont des contractions utérines.

Inefficacité et danger de la tocolyse

Depuis près de vingt ans, Romero répète, de congrès en congrès, que les médicaments tocolytiques jouent un rôle à peu près équivalent aux antitussifs, c’est-à-dire celui d’une thérapeutique purement symptomatique, qui supprime parfois dangereusement un réflexe adaptatif. Dans les trois dernières décennies, de toutes les thérapeutiques engagées dans la lutte contre la prématurité, les médicaments  tocolytiques sont sans doute les grands perdants. Pourtant, au moment de leur introduction, dans les années 70, ils avaient suscité l’enthousiasme au point d’éclipser l’avènement à peu près contemporain d’autres traitements comme le traitement par les corticoïdes.

Aujourd’hui, l’efficacité des corticoïdes pour préparer le fœtus à son statut de prématuré est solidement étayée par une multitude d’études. La classe des médicaments tocolytiques appelée bêta- mimétiques a inondé les grossesses pendant des années.

Les effets secondaires de cette classe thérapeutique, notamment cardiaques avec parfois des complications mortelles, ont sans doute été plus délétères pour les mères que bénéfiques pour les nouveau-nés. Il ne faudrait pas croire que le principe de la tocolyse médicamenteuse ait pour autant été abandonné, d’autres médicaments sont venus remplacer les bêta-mimétiques bien que répétons-le, aucune étude n’ait encore à ce jour démontré un quelconque bénéfice fœtal de la tocolyse.

L’attachement à ce type de médicament est assez stupéfiant surtout lorsqu’on sait que la distribution massive des bêta-mimétiques s’est produite juste après le sombre épisode du distilbène (DES). Ce médicament venu des État-Unis au lendemain de la dernière Guerre mondiale, était prescrit dans une optique assez voisine des bêta-mimétiques, mais plus précocement pour prévenir les fausses couches.

C’est ainsi qu’entre 1950 et 1976, près de 160.000 femmes ont été traitées pendant leur grossesse. Aucune étude scientifique n’avait démontré l’efficacité et l’innocuité du distilbène. Bien au contraire, dès 1953, la première étude effectuée par le scientifique Dieckman concluait à une totale inefficacité. C’est en 1971 qu’on a établi que l’exposition in utero causait dans 30 % des cas environ, des anomalies majeures chez le fœtus, notamment des malformations utérines et des cancers du vagin chez les filles et un risque de stérilité chez les garçons.

Le médicament n’a été interdit aux États-Unis qu’en 1971, la France ne l’interdira qu’en 1977. Les bêta-mimétiques n’eurent pas les mêmes conséquences malformatives que celles du distilbène, mais ont provoqué des œdèmes pulmonaires et des ischémies myocardiques.

On peut se demander pourquoi la leçon du distilbène n’a pas modéré la diffusion massive des bêta-mimétiques. C’est que, à peu près à la même période, les espaces hospitaliers ont été investis de nouveaux pouvoirs pour traiter l’accouchement prématuré. Cette période correspond à celle des réformes Dienesch qui allait dans le sens d’une normalisation des espaces médicaux de la naissance. Sous l’influence d’un courant d’idées qui naquit en France sous l’impulsion du professeur Papiernick, est apparu le concept « de menace d’accouchement prématuré ». Ce concept repose sur la représentation que nous avons évoquée, celle d’une séquence où les facteurs d’environnement, comme une activité physique intense ou un travail physique, jouent un rôle déterminant, en induisant une activité utérine qui à la longue favorise l’ouverture du col.

Dans cette optique, l’accouchement prématuré s’annonce par deux types de symptômes, les contractions utérines et les modifications du col. Pour traiter ce syndrome les espaces médicaux ont été requis, et les médicaments tocolytiques administrés en perfusion ont justifié l’hospitalisation. Au cours des décades qui ont suivi, la conviction que l’accouchement prématuré était prévisible par l’activité utérine et les modifications du col ou par un certain nombre de scores de risque qui tenaient compte des facteurs environnementaux, a été progressivement ébranlée.

La prévision d’un accouchement prématuré est à vrai dire très difficile.

Dans une revue de la littérature, nous avons montré que les contractions utérines ne sont pas un signe prédictif de l’accouchement prématuré (2) . De nombreuses études concernant la mesure du col par l’échographie ont montré qu’il existait une corrélation entre le raccourcissement du col et l’accouchement prématuré. Mais la valeur prédictive de la mesure échographique du col reste très faible.

Conclusion

Il faut par ailleurs souligner que « la menace d’accouchement prématuré » représente un véritable problème de santé publique. Car elle a été le prétexte de milliers de journées d’hospitalisation injustifiées ; Journées d’hospitalisation dont on sait le coût et dont on devine les conséquences psychologiques pour les patientes éloignées ainsi de leur milieu familial. Certes, les nouvelles idées sur les mécanismes de l’accouchement prématuré gagnent lentement du terrain et on n’en est plus aux années 80 où les maternités avaient des taux d’occupation record grâce « aux menaces d’accouchement prématuré ».

À cette époque, les femmes étaient hospitalisées pendant des semaines sous perfusion et subissaient le cortège des effets secondaires des bêta-mimétiques, accélération du pouls, tremblements des extrémités. Aujourd’hui, on constate une certaine décrue des hospitalisations pour ce motif sous l’influence des recommandations des comités d’experts. Dans la pratique, ces recommandations ne sont pas toujours appliquées et de nombreux praticiens accordent encore une trop large place à la tocolyse et à l’hospitalisation.

 

Dr Laurent Vercoustre
Octobre 2020

 

 

 

Notes et sources
(1) Romero R, Espinoza J, Kusanovic JP, Gotsch F, Hassan S, Erez O, et al. The preterm parturition syndrome. BJOG. 2006;
113 : 17-42.
(2) [Activité utérine et accouchement prématuré. Revue de la littérature].Vercoustre L. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 1997. PMID: 9265030 La revue. Français

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