L’AIMSIB a été très touchée d’apprendre le calvaire judiciaire et psychologique qu’a enduré Madame Hélène Pariente (photo), Sage-Femme à domicile  après qu’un nouveau-né, apparemment en pleine santé, soit décédé quelques heures plus tard dans son berceau. (*) Notre réflexion s’est alors porté sur la sécurité et la pertinence d’un accouchement volontairement réalisé à domicile et surprise de taille c’est le Dr Laurent Vercoustre, ancien chef de service à la maternité du Havre qui a souhaité nous dire tout le bien qu’il en pense. Son avis n’est pas nourri par un idéal quelconque mais par une réflexion médicale profondément étayée et captivante : Un professionnel parle aux passionnés. Bonne lecture.   

Introduction

Elles sont moins d’une centaine, 88 exactement à pratiquer l’accouchement à domicile en France. Ces sages-femmes exercent sans couverture assurantielle. Une assurance professionnelle leur coûterait de l’ordre de 20 000 euros par an

Le nombre d’accouchement à domicile dans notre pays est autour de 2000 par an soit seulement 0,25 % des naissances. S’il est vrai que les accouchements à la maison ne dépassent pas 1 % de tous les accouchements dans les pays industrialisés, il faut souligner que l’extrême hostilité à l’égard de cette pratique est une spécificité française.

  • En Belgique les femmes qui font le choix d’accoucher à domicile sont accompagnée d’une sage-femme formée à ce type d’accouchement et, contrairement à la France, en règle d’assurance professionnelle. La plupart des mutuelles remboursent également ce type d’accouchement. En 2017, le nombre d’accouchements programmé à domicile était de 117 en Wallonie60 à Bruxelles et 399 en Flandre.
  • Au Pays-Bas l’accouchement à domicile est perçu comme une alternative tout à fait légitime à l’accouchement à l’hôpital. Certes le taux d’accouchement à domicile décroit d’année en année notamment parce que les femmes veulent bénéficier de la péridurale, il est passé de 31% en 1996 à 13% actuellement.
  • En France les sages-femmes qui pratiquent l’accouchement à domicile sont montrées du doigt par nos élites obstétricales comme de véritables hérétiques.

 

Pourtant toute une littérature déjà ancienne montre que pour des accouchements dont les conditions sont comparables et pour une population sélectionnée à bas risques, les taux de mortalité et de morbidité périnatales sont égaux ou légèrement inférieurs à domicile[1].Des études internationales concluent que l’accouchement à l’hôpital ne peut se justifier sur la base de la sécurité et qu’aucun des deux lieux d’accouchement, le centre hospitalier et le domicile, n’est totalement sécuritaire[2]

Il y a quelques mois une méta analyse publiée dans le prestigieux Lancet a retenu 14 études regroupant une population de 500 000 naissances. Sa conclusion est sans ambiguïté : le risque de mortalité périnatale ou néonatale n’était pas différent lorsque la naissance était prévue à la maison ou à l’hôpital. (The risk of perinatal or neonatal mortality. was not different when birth was intended at home or in hospital)[3]

 En l’Angleterre, depuis 2014, le très sérieux NICE (National Institute for health and Care Excellence) recommande d’expliquer aux femmes à bas risque de complication qu’elles peuvent choisir entre les différents lieux de naissance (à domicile, dans une maison de naissance attenante – ou pas – à un hôpital ou dans un hôpital). Le NICE va même jusqu’à recommander l’accouchement à domicile ou en maison de naissance aux femmes ayant déjà accouché parce que le niveau d’interventions médicales est moindre, pour un même résultat périnatal pour les femmes et pour les bébés, comparé aux accouchements à l’hôpital. Pour appuyer ses recommandations, le NICE publie deux tableaux. Le premier montre que, sur 1000 naissances, il y a exactement le même nombre de bébés (2 ou 3) qui présentent de sérieux problèmes médicaux, en ce compris la mort périnatale. Le second donne les taux d’interventions médicales sur les femmes en fonction du lieu d’accouchement avec une augmentation flagrante des épisiotomies, césariennes, extractions instrumentales et même d’hémorragies lorsqu’elles accouchent à l’hôpital[4].

Historique

Tâchons de ressaisir cette mainmise de l’accouchement par l’hôpital dans une perspective historique. Dès la naissance de l’hôpital médical, au cours du 18e siècle, la maternité a pris place dans l’institution : la première maternité de Londres a été ouverte en 1749. Puis peu à peu, mais de façon irréversible, le lieu de la naissance s’est déplacé de la maison vers l’hôpital. Mais c’est au début du 20e que le mouvement s’accélère : on dénombre 16294 accouchements dans les établissements de l’Assistance Publique de Paris en 1900, contre 5180 en 1880. Cette progression se poursuit tout au long du 20e siècle : en 1920, un tiers des accouchements parisiens ont lieu dans un établissement de l’Assistance Publique. Entre les deux guerres, a commencé l’hospitalisation systématique de toute parturiente dans le but d’une plus grande sécurité pour la mère et son enfant. L’après-guerre voit naître la sécurité sociale et l’assurance maternité avec la gratuité des soins relatifs au suivi de la grossesse, à l’accouchement et aux suites de couches. Tout était gratuit pour celle qui consentait à se rendre à l’hôpital. En effet lorsque l’accouchement avait lieu dans un établissement hospitalier public, la jeune mère n’avait rien à débourser, tandis que sa voisine qui persistait à vouloir accoucher chez elle devait, non seulement verser des honoraires à la sage-femme ou au médecin qui l’assisterait au moment de la naissance et assurerait les soins les jours suivants, mais encore se procurer l’ensemble du matériel que réclamait le praticien. Tout cela lui serait remboursé mais plus tard. Une telle mesure a contribué à faire entrer massivement dans les mœurs l’accouchement à la maternité. L’accouchement à domicile tend donc à disparaître au profit de l’accouchement dans des structures médicalisées. La gratuité des soins hospitaliers n’est en réalité qu’un aspect d’un vaste dispositif de contrôle de la grossesse qui a été mis en place au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Ce fut d’abord le principe de l’organisation de la protection médico-sociale des futures mères et des jeunes enfants avec une ordonnance du 2 novembre 1945. Des centres de protection maternelle et infantile (PMI) ont été créés pour assurer une surveillance de la grossesse et de l’enfant jusqu’à l’âge de 6 ans. Ainsi, par son caractère gratuit, cette organisation permettait à tous l’accès à la surveillance de la grossesse. Ce fut à la fin des années 1960 le décret du 21 février 1972 ou « Dienesch » en réaction avec les taux de mortalité périnatale qui restaient dans notre pays un des taux les plus élevés d’Europe. Ce décret imposait entre autres des normes très précises pour les locaux et le plateau technique. Un grand nombre d’établissements ne pouvant pour des raisons financières ou techniques se soumettre aux normes ont dû fermer. Les médecins généralistes abandonnèrent la pratique de l’obstétrique et l’accouchement à domicile disparut encore un peu plus.

Les sages-femmes perdirent progressivement leur indépendance, faute de travail, pour prendre place à l’hôpital sous la responsabilité d’un médecin. Le salariat a gagné dans la profession à partir des années 1960 au détriment du secteur libéral et aujourd’hui la grande majorité des sages-femmes travaille dans des structures hospitalières ou dans des cliniques.

Pourquoi l’hôpital s’est-il approprié l’accouchement

Pour répondre à cette question il nous faut faire une brève généalogie de l’hôpital. Rappelons que la pensée clinique est née à l’hôpital, à un moment précis de l’histoire de la médecine, du fait d’une configuration épistémologique particulière et sans doute transitoire. Avec la clinique la médecine scientifique faisait ses premiers pas. Et aujourd’hui encore l’hôpital est perçu comme le principe même de la rationalité médicale, parce qu’il représente « l’espace de visibilité de la maladie », c’est pour cette raison qu’il a annexé tous les aspects de la médecine y compris celui de la naissance. L’hôpital est un espace disciplinaire comme l’a montré Michel Foucault. C’est le quadrillage disciplinaire institué à l’hôpital à la fin du 18e siècle qui a transformé l’espace hospitalier en un espace analytique.

Semmelweis n’aurait pu vérifier sa géniale hypothèse en l’absence d’un espace hospitalier structuré. Lorsque son ami Jakob Kolletschka, professeur d’anatomie, mourut d’une infection après s’être blessé accidentellement au doigt avec un bistouri au cours de la dissection d’un cadavre, Semmelweis vit aussitôt le rapport entre la contamination par les cadavres et la fièvre puerpérale. C’était avant l’ère pastorienne et on ignorait encore le monde microbien, on parlait alors de miasmes. En comparant deux populations réparties dans des espaces bien définis dans le même hôpital, Semmelweis a pu vérifier son hypothèse. Il existait en effet à l’Hôpital général de Vienne, deux services.

Dans le premier service, dirigé par le professeur Johanna Klein, où Semmelweis fut nommé chef de clinique en juillet 1846, la mortalité par fièvre puerpérale était de 13 %. Dans l’autre service, dirigé par le professeur Barcht, la mortalité n’était que de 3 %.

La seule différence entre les services était le personnel qui y travaillait. Le premier servait à l’instruction des étudiants en médecine, le second à celui des sages-femmes. Semmelweis comprit que les étudiants, après avoir disséqué les cadavres, contaminaient par leurs mains souillées les patientes qu’ils soignaient dans la première clinique. Il prescrivit alors, en mai 1847, l’emploi d’une solution d’hypochlorite de calcium pour le lavage des mains entre le travail d’autopsie et l’examen des patientes ; le taux de mortalité chuta de 12 % à 2,4 %. Ainsi, l’histoire de Semmelweis illustre de façon exemplaire la fonction analytique de l’espace hospitalier. Aujourd’hui pour des tas de raisons l’hôpital a perdu cette fonction analytique.

Il n’y a plus aujourd’hui d’un côté, l’hôpital et la science, la rigueur, science et rigueur qu’on associe à la sécurité, et de l’autre l’accouchement à domicile qui représenterait un retour à une naturalité perdue, une aventure avec une prise de risque. L’accouchement à domicile est, avant tout, une autre façon d’accoucher, une autre façon d’accoucher qui est aussi susceptible de produire de la science et de nous apprendre des tas de choses que l’hôpital ne nous a pas révélées

Comme le montre très bien Marie Hélène Lahaye[5], ce qui fait croire à la dangerosité de l’accouchement à domicile, c’est d’abord le souvenir des nombreuses mortes en couche dans le passé et la croyance que c’est la généralisation de l’accouchement à l’hôpital dans les années 1960 qui aurait rendu l’accouchement plus sûr.

Or, ce n’est pas l’hôpital qui a fait s’effondrer la mortalité maternelle. C’est une invention majeure en médecine générale : les antibiotiques.

Grâce aux antibiotiques, la fièvre puerpérale, cette grande tueuse de mères en couche, a totalement disparu en Occident. Les antibiotiques ont aussi rendu les césariennes sûres à partir du début des années 1950 (avant les femmes mourraient non pas à cause des coupures du bistouri mais en raison des infections qui en résultaient), ce qui a permis de prendre en charge les 10 % d’accouchements qui se compliquent. Les statistiques montrent un effondrement de la mortalité maternelle juste après la seconde guerre mondiale, soit 15 ans avant la généralisation de l’accouchement à l’hôpital.

L’argument de la technologie : le risque hémorragique

L’hôpital moderne, l’hôpital d’aujourd’hui, ce n’est pas seulement cet espace disciplinaire qui nous vient de l’hôpital du 18e siècle. L’hôpital aujourd’hui c’est le temple de la technique : l’hôpital offre tout un panel de techniques, et cette proximité de la technique, surtout lorsqu’il s’agit de technique de réanimation c’est un gage de sécurité pour le patient. C’est vrai mais il faut moduler cette opinion. L’accès trop immédiat à la technique peut avoir des effets délétères.

J’en ai fait l’expérience dans mon hôpital à propos de l’hémorragie de la délivrance. L’argument, qu’on vous retourne immédiatement contre l’accouchement à domicile, c’est le risque hémorragique, c’est l’hémorragie de la délivrance.

Mon expérience est la suivante ; Jusqu’à la fin de l’année 2009, les accouchements publics étaient répartis sur 2 maternités qui faisaient chacune environ 1500 accouchements. L’une dans laquelle j’exerçais depuis 25 ans était niveau 3 et s’occupait des grossesses pathologiques. Or durant ces 25 ans, naturellement je me suis trouvé confronté à des hémorragies de la délivrance, mais jamais une fois je n’ai dû recourir à la chirurgie (hystérectomie) ou à la radiologie interventionnelle. Lorsque nos deux maternités ont été réuni j’ai constaté une augmentation dramatique du nombre d’hémorragies de la délivrance qui conduisait à des interventions mutilatrices de l’utérus.

Le fait de pouvoir compter trop facilement sur des techniques plus radicales conduit à éluder, à court-circuiter les étapes intermédiaires. Il y a quelque chose qui n’est pas bien fait au niveau des premiers gestes.

Et lorsqu’on considère les statistiques des pays européens, on constate qu’en ce qui concerne la mortalité maternelle par hémorragie notre pays qui privilégie la naissance en milieu hospitalier est en queue de peloton.

Conclusion

Enfin je pense qu’il doit exister un gradient de prise en charge, il ne faut pas que tous les moyens se trouvent nécessairement à portée de la main. Car on mésestime alors, on ne donne pas toutes ses chances aux premiers gestes, or on sait que dans le cas de l’hémorragie de la délivrance tout se joue dans la première demi-heure et que dans la grande majorité des cas, des gestes appropriés, assez simples, évitent l’évolution vers la catastrophe.

Au terme de cette réflexion, on peut considérer qu’il est très regrettable que nos élites obstétricales couvrent l’accouchement à domicile de leur opprobre. C’est rendre la tâche très difficile aux sages-femmes qui ont le courage de défendre cette pratique. Pratique qui repose sur une coopération avec les obstétriciens. Or malheureusement ces patientes sont généralement mal accueillies en cas de nécessité de transfert vers une maternité.

Dr Laurent Vercoustre

Sources et renvois:
(*) http://soutien-helenepariente.fr/lettre-de-soutien-dhelene/ sans oublier le site reprenant les statistiques concernant les accouchements à domicile;  http://www.apaad.fr/
[1] Peat, Marwick, Stevenson & Kellog, 1991 ; Janssen, Holt, Myers, 1994 ; Olsen, 1997 ; B.C. Home Birth Demonstration Project, 2000.
[2] Ashford, 1978 ; Tew, 1978 ; Campbell et Macfarlane,  1987 ; Olsen, 1997.
[3] https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(19)30142-7/fulltext
[4] https://www.nice.org.uk/guidance/cg190/chapter/recommendations#place-of-birth
[5] Voire le billet du BLOG de Marie Hélène Lahaye » Il y a deux siècles, je serais morte en couches « . Vraiment ? et  » Si je n’avais pas accouché à l’hôpital, je serais morte et mon bébé aussi « . Ah bon ?

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