Il y a six mois l’ANSM nous gratifiait de résultats étonnants, souhaitant résumer une étude de pharmaco-épidémiologie comparant les effets de la Nouvelle Formule (NF) du Lévothyrox introduit en Mars 2017, avec l’ancienne formule (AF). Cette présentation avait été commentée ici [0]. Ces résultats paraissaient avantager la NF, ce qui provoqua évidemment la stupeur et la colère légitime des victimes qui ne comprenaient pas comment il était possible de neutraliser ainsi tant de vécus aussi opposés à leurs dires. Cette parution de Juin démontre encore une profusion de signaux exactement contraires à celle signalée par les auteurs, c’est à couper le souffle, alors pourquoi? Bernard Guennebaud repart à l’abordage de la science mathématique mal maîtrisée, son article est complexe mais si vous souhaitez comprendre comment et pourquoi nos politiques de santé sont si mal mises en oeuvre… Bonne lecture.

Des surprises dès le départ

Sur la base de ces résultats publiés, plusieurs milliers de victimes ont été déboutées en justice. En juin 2019, l’ANSM publiait le rapport final [1] reprenant les résultats annoncés en janvier 2019 :

https://www.ansm.sante.fr

Conclusion du rapport: « Les résultats ne fournissent pas d’argument en faveur d’un risque augmenté de problèmes de santé graves au cours des mois suivant l’initiation de la nouvelle formule du Levothyrox®. En effet, ils ne mettent pas en évidence d’augmentation spécifique de survenue d’hospitalisations, de décès, d’arrêts de travail d’au moins 7 jours, ni de consommation de médicaments utilisés pour traiter des symptômes somatiques tels que ceux déclarés en pharmacovigilance lors du passage à la nouvelle formule du Levothyrox®. Les analyses complémentaires prenant en compte les interruptions de traitement par la nouvelle formule du Levothyrox® confirment ces résultats. »  J’ai souligné la dernière phrase car elle vaut son pesant de moutarde !

Selon l’ANSM, les analyses prenant en compte les interruptions de traitement par la NF (nouvelle formule) confirmeraient l’absence d’un réel problème alors que, comme nous allons voir, c’est exactement l’inverse !!!

Alors allons-y carrément ! Je ne vais pas m’enliser  dans une analyse pas à pas de ce rapport de 90 pages. NON ! Allons directement à ces analyses dites complémentaires alors qu’il aurait fallu que les auteurs commencent par elles. Elles constituent l’annexe 11 du rapport, pages  85-8. Voici le tableau 11C pour commencer :

Tableau 11C page 85

Il y a 2 groupes constitués par ceux qui ont poursuivi avec la NF jusqu’à la limite du suivi le 31 décembre  2017 et ceux qui l’ont interrompue en cours de route pour prendre une autre formule, en particulier l’ancienne (AF).

Je précise que les patients de ces 2 groupes NF sont appariés avec des patients ayant utilisé l’AF en 2016 avec la contrainte suivante : si la personne a eu sa première prescription de NF le 15 avril 2017, elle aura été associée à une personne ayant eu une prescription d’AF le 15 avril 2016. Pour ces 2 personnes dites appariées, le suivi a été réalisé jusqu’au 31 décembre de la même année. Ces 2 personnes ont donc été suivies en principe pendant une durée égale, au jour près.

Constatons d’abord que le cumul de ces 2 groupes donne 731104+184489=915 593. Avec un total de 1 037 553 pour l’année 2016 et autant pour l’année 2017 il en manque donc, quand même, juste 121 950. On apprend, page 27, que ‘’dans le groupe NF 738 995  avaient poursuivi le traitement par Lévothyrox NF tout au long de la période de suivi’’.

Ils en ont donc laissé tomber 7891 pour lesquels je n’ai pas trouvé la moindre raison. De plus, ‘’168 690 (18,2%) étaient passés à une autre spécialité à base de lévothyroxine (alternative au Lévothyrox ou Lévothyrox AF), et 17 200 (1,9%) avaient eu un arrêt des délivrances de traitement par lévothyroxine en France au cours du suivi.’’

On sait très bien qu’un certain nombre de Français se sont approvisionnés à l’étranger, Espagne, Belgique, Allemagne  et qu’ils ne se faisaient sans doute pas prescrire la NF! Ils ont ainsi  échappé aux radars de surveillance.

Les rapporteurs, qui ne peuvent ignorer le phénomène, n’y font aucune allusion. Seules comptent les données enregistrées par le système institutionnel même si cela  doit conduire à ignorer un fait très important et révélateur.

Page 27 on lit aussi : «Comparés aux patients du groupe AF, les patients du groupe NF étaient significativement plus souvent passés à une autre spécialité (18,2% vs. 1,2%, p<0,0001) et avaient plus souvent eu un arrêt des délivrances en France (1,9% vs. 1,4%, p<0,0001) au cours du suivi.

Parmi les 168 690 patients du groupe NF étant passés à une autre spécialité à base de lévothyroxine au cours du suivi, la première délivrance d’une spécialité autre que Lévothyrox NF était survenue principalement à partir du moment où de nouvelles alternatives ont été mises à disposition en France : en Octobre 2017 pour 76 615 patients (45,4%), en Novembre 2017 pour 38 330 (22,7%) et en Décembre 2017 pour 28 946 (17,2%). Le délai moyen entre la première délivrance de Lévothyrox NF et le passage à une autre spécialité était de 5,4 mois. »

Cela confirme que la seule alternative explicitée par le rapport fut celle mise en place par les autorités. Les initiatives individuelles, même assez massives et médiatisées, restent délibérément ignorées. Une partie importante d’entre-eux est cependant présente dans les données de ce groupe par ceux qui  « ont eu un arrêt des délivrances de traitement par lévothyroxine en France ». La formule est assez jolie quand on connaît la réalité vécue par les patients à ce sujet !

Pour le premier groupe pour lequel le traitement NF a été maintenu jusqu’au 31 décembre 2017, il existe 2 signaux relatifs à la consultation d’au moins un généraliste ou d’un endocrinologue.

Pour ceux qui ont interrompu la NF, toutes les rubriques donnent des signaux dont on va mettre en évidence la très grande force, ce qui n’est pas évident a priori sur les nombres publiés  qui auraient même piégé les auteurs qui croient y avoir vu une confirmation que rien d’important ne s’était produit, y compris chez ceux qui avaient abandonné la NF !

Il est vrai qu’à première vue, les HR comme ils disent (hazard ratio) paraissent modérés, le plus élevé valant 1,46 et sept ne dépassant pas 1,18. Un épidémiologiste a même proposé de ne considérer comme significatifs que les HR (ou OR) au moins égaux à 2. Cette proposition pour le moins surprenante démontre une ignorance de la question car ici les échantillons sont très grands et comme on en rencontre rarement d’aussi grands, on apprécie très mal ces valeurs à vue.

 

Un petit cours de statistique devient indispensable !

Il s’agit d’évaluer si l’écart entre la valeur théorique 1 et la valeur observée 1,13 relative à la consultation d’un médecin généraliste est faible et serait donc compatible avec des variations aléatoires ou au contraire s’il paraît trop important pour s’expliquer par le seul fait du hasard, ce qui justifierait d’en rechercher une cause particulière.

Mais l’unité de mesure n’est pas 1 comme on pourrait le croire, mais l’écart-type, qui dépend des données. C’est la première chose à comprendre dans le calcul de probabilités, l’unité n’est pas 1 et cela en trompe plus d’un, y compris des experts ou décideurs ayant de hautes responsabilités.

Un écart entre la valeur théorique et la valeur observée est significatif, au seuil habituel, quand il est d’au moins 2 écarts-types.  On peut être influencé par  les exemples déjà rencontrés où le ratio était souvent supérieur à 2 quand il était significatif.  Or dans les calculs effectués dans ce genre d’étude, plus l’échantillon sera grand et plus l’écart-type sera petit.

Quand on a accepté cette règle, à défaut de la maîtriser de façon plus technique, on peut alors comprendre qu’un écart qui paraît faible, comme entre 1 et 1,13,  pourrait être très significatif.

C’est le cas ici car ce qui définit le test statistique ce n’est pas l’odds ratio ou le hazard ratio mais la probabilité d’obtenir un écart au moins aussi important que celui observé entre la valeur théorique 1 et la valeur obtenue 1,13.

Un calcul montre que cette probabilité est inférieure à 1 sur 1 million. Il s’agit donc en fait d’un écart absolument énorme qui pourrait passer  pratiquement  inaperçu et que les auteurs ne semblent pas avoir vu. Les 2 tests significatifs du groupe qui a maintenu la NF jusqu’au bout et les 10 tests de ceux qui l’ont interrompue ont tous une probabilité associée inférieure à 1 sur 1 million, le signal le moins fort se rapportant à la consultation d’un psychiatre.

Notons aussi que le premier groupe est à la limite du significatif pour les deux rubriques, toutes spécialités ainsi que neurologue.

Il en existe d’autres dans l’annexe 11 pour le groupe de ceux connus pour avoir interrompu la NF avant le 31 décembre 2017 comme pour ceux regroupés dans ce tableau :

AF  2016 184489 NF abandonnée 184489 HR   IC 95 % Probabilité significative si < 2,5 %
Pathologie cardio-respiratoire. Hospitalisation 1363  (0,7%) 1423  (0,8%) 1,09   [1,01   1,18] <1,88 %
Arrêt travail au moins 7 j 6759 7903 1,11  [1,08   1,15] <1/ 1 million
Antalgiques 94957  51,5% 100517   54,5% 1,05   [1,04  1,06] <1/ 1 million
Corticoïdes Antihistaminiques 29457   16 % 35109    19 % 1,19   [1,17  1,21] <1/ 1 million
Antimigraineux 2821   1,5 % 3269    1,8 % 1,20   [1,14   1,27] <1/1 million
Antivertigineux 3856    2,1 % 4970   2,7 % 1,35   [1,31   1,39] <1/1 million
Antidiarrhéiques 3838   2,1 % 4321   2,3 % 1,08   [1,06   1,11] <1/1 million

 

On trouve encore des résultats aussi significatifs avec les antidépresseurs, les antihypertenseurs, les antiagrégants plaquettaires, les anticoagulants.

Le groupe des NF non interrompues a aussi des résultats excédentaires très significatifs par rapport aux AF pour les antidépresseurs, les anti-hypertenseurs, les hypolipémiants et les anticoagulants avec tous une probabilité associée inférieure à 1 sur 1 million.

Premières interprétations

 Comment comprendre ces résultats ?

Le constat statistique est que ceux qui ont poursuivi l’utilisation de la NF jusqu’à la limite du suivi ont eu très significativement moins de problèmes de santé que ceux qui l’ont interrompue. Cela paraît très clair.

Dans l’ignorance de ce qui s’est réellement passé on pourrait en déduire que ceux qui ont abandonné la NF ont eu grand tort ! Mais nous savons tous que ce ne fut pas cet abandon qui a crée les problèmes mais au contraire les trop nombreux problèmes de santé qu’ils rencontraient avec la NF et qui les ont conduits, contraints même, à s’en détourner d’une façon ou d’une autre !

Malgré tous ses défauts, ce rapport de l’ANSM permet de mettre des chiffres sur cette affaire. Ils pourraient être éloquents si les auteurs avaient bien voulu leur donner la parole plutôt que de les parquer dans la dernière annexe  avec pour seul commentaire qu’ils confirmeraient qu’il n’y a pas vraiment eu de problème !!!

AHURISSANT !!!

Oui, ahurissant car voici ce qu’ils écrivent page 56 : «les patients du groupe NF ayant changé de spécialité ou eu un arrêt des délivrances en France au cours du suivi n’ont pas été plus souvent hospitalisés que leurs pairs qui utilisaient l’ancienne formule du Lévothyrox, suggérant qu’ils n’ont pas eu plus de problèmes de santé graves. En revanche, ils ont connu plus d’arrêts de travail, de recours aux soins ambulatoires et de consommations médicamenteuses, mais dans des proportions qui sont restées modérées. Ces résultats, qui doivent être interprétés avec prudence (car les patients du groupe NF ayant changé de spécialité ou eu un arrêt des délivrances en France ont été comparés à des patients qui dans leur grande majorité avait poursuivi le Lévothyrox AF), suggèrent que les effets indésirables n’expliquent probablement qu’en partie le non maintien du traitement par Lévothyrox NF au cours du suivi. »

Chacun va se poser la question :

Les auteurs étaient-ils conscients de ce que signifiaient ces résultats ou les auraient-ils interprété en pensant que des HR aussi faibles ne pouvaient pas correspondre à des signaux forts ?

Avec ce que j’ai déjà pu rencontrer par ailleurs comme aberrations dans l’usage des tests statistiques, il ne faut s’étonner de rien. Cependant, les auteurs ont fait état de la probabilité associée dans la situation déjà rapportée ici :  «Comparés aux patients du groupe AF, les patients du groupe NF étaient significativement plus souvent passés à une autre spécialité (18,2% vs. 1,2%, p<0,0001) ». Il s’agit donc de p<1/10000.

Si leur logiciel l’a calculé ici alors il est probable qu’il l’a fait automatiquement pour chacun des tests pratiqués. Donc ils ont dû voir que les signaux étaient extrêmement forts. En ont-ils compris la signification ou faudrait-il en arriver à penser qu’ils en auraient inversé la signification ? Ou auraient-il inversé cette signification uniquement pour le lecteur et les juges des tribunaux ?

Les auteurs semblent pourtant s’interroger en avançant des restrictions à leurs conclusions (page 55) : « Si la quasi-totalité des patients du groupe AF (plus de 97%) avaient bien poursuivi la spécialité délivrée à l’inclusion pendant tout le suivi, dans le groupe NF une part notable des patients étaient passée à une spécialité autre que le Lévothyrox NF (18% des patients) ou, dans une moindre mesure, avaient eu un arrêt des délivrances de traitement par lévothyroxine en France au cours du suivi (2%). Ainsi, dans l’hypothèse où ces changements de traitement ou arrêts de délivrance auraient été motivés par d’éventuels effets indésirables du Lévothyrox NF qui auraient ensuite régressé grâce à son interruption, les analyses réalisées pourraient avoir conduit à sous-estimer une éventuelle différence de risques entre les groupes AF et NF. »

Quoi qu’il en soit, c’est pour le moins cavalier mais on commence à s’habituer et cela a finalement un avantage :

Nous contraindre et donc en même temps nous aider à construire une analyse indépendante qui pourrait, dans l’avenir, poser quelques problèmes à une expertise qui n’est pas toujours à la hauteur de sa tâche du point de vue technique et qui est  en perte totale de repères moraux.

Reconnaissons qu’il n’est pas bon non plus d’être totalement dépendant mentalement d’un système, aussi parfait serait-il, qui nous dirait la vérité et en lequel nous pourrions avoir une totale confiance. On peut reprocher à ce système de tourner pour lui-même et de tenter de nous tromper mais on pourrait aussi le remercier, par la même occasion,  de nous offrir des opportunités pour nous réveiller et devenir nous-mêmes plutôt que des poulets gavés d’analyses statistiques falsifiées.

Plus l’échantillon sera grand et plus l’écart-type sera petit

Un exemple pédagogique ici; Cette règle peut se préciser ainsi :

Quand la taille d’un échantillon est multipliée par 100, son écart-type sera divisé par 10, du moins pour l’usage qui en est fait ici.

On dispose d’un échantillon de 100 personnes dont l’écart-type vaut 1. Pour avoir un ratio significatif par rapport à sa valeur théorique 1, il faudra qu’il en soit éloigné d’au moins 2 écarts-type. Il sera donc significatif s’il dépasse 1+2=3. Pour un échantillon semblable de 100×100=10000 personnes, l’écart-type sera divisé par la racine carrée de 100, soit 10 et vaudra donc 1/10. Le ratio sera  significatif s’il dépasse 1+2 écarts-type soit 1,20. Pour un échantillon semblable de 100×10000=1 million de personnes, l’écart-type sera à nouveau divisé par 10, soit 1/100. Le ratio sera alors significatif s’il dépasse 1+2 écarts-type soit 1,02.

Il faut réaliser qu’un ratio de 3 sur un échantillon de 100 et un ratio de 1,02 sur un échantillon d’un million peuvent avoir la même force significative. Nos experts sont très loin d’avoir compris cela. C’est pourtant ce qu’on lit sur les résultats délivrés par le logiciel de statistiques utilisé par les auteurs. Mais chacun peut constater leur frilosité pour admettre qu’un ratio de 1,05 pourrait être extrêmement significatif !

REMARQUE : la réalité numérique est un peu différente de celle exprimée dans cet exemple à visée pédagogique car la division par 10 quand la taille de l’échantillon est multipliée par 100 s’opère en réalité au niveau des  logarithmes dont on prend ensuite l’exponentiel pour retomber sur ses pieds mais qualitativement c’est ce que j’ai décrit qui se produit. Plus de précisions dans l’annexe.

Pourquoi  tous ces effets indésirables ?

Nous venons de constater que les données de ce rapport final de l’ANSM, à défaut de ses commentaires, montrent statistiquement la réalité d’un grand nombre d’effets indésirables (EI) ayant frappé une partie des personnes traitées par la NF (1,43 % selon la troisième enquête de l’ANSM [2]). Mais cela n’explique pas comment ce phénomène a pu se produire ni comment d’autres tests présentés dans le rapport ont pu le masquer. Voici ce qu’écrit la troisième enquête de l’ANSM du 4 juillet 2018 [2], page 10 :

 « Sur la période du 01/12/2017 au 15/04/2018, un total de 2 760 cas (totalisant 33 234 EI) concernant LEVOTHYROX® NF a été déclaré au laboratoire, soit une moyenne de 12 EI par cas. Parmi ces cas, 196 comportent un critère de gravité « décès », « mise en jeu du pronostic vital », « anomalies congénitales », « hospitalisation ou prolongation d’hospitalisation » ou « incapacité ou invalidité », soit 7% des cas. »

Une moyenne de 12 EI par cas ! C’est énorme, du moins il me semble. On peut comprendre que les victimes d’une telle agression aient eu quelques raisons pour se plaindre et pour sentir la colère monter à la lecture des conclusions d’un tel rapport. On peut les comprendre et j’espère que ce que j’ai écrit précédemment les réconfortera un peu. Oui, vous n’avez pas vécu une illusion, votre souffrance, elle est dans les données du rapport même si les rapporteurs se sont assis dessus en invitant les juges et les commentateurs à en faire autant.

Cette moyenne énorme de 12 EI par cas je ne l’ai pas trouvée mentionnée dans le rapport final. Les auteurs semblent en effet avoir trouvé une opportunité d’occultation statistique de ce fait important. Comment cela ? Tout simplement en ne s’occupant pas des EI mais en se focalisant sur les médicaments prescrits.  Que le nombre d’EI vécus par un patient soit 3 ou 12  il est possible qu’il prenne les mêmes médicaments, les médecins pourront le confirmer ou l’infirmer.

Ainsi en comparant les différents médicaments pris par les patients AF et NF on pourra neutraliser le signal que cet accroissement d’EI simultanés pouvait exprimer.

Un médicament pollué ?

Bien sûr on pourrait envisager que ce médicament nouveau ait pu contenir une substance indésirable comme cela peut se produire au début d’un nouveau processus industriel de fabrication. Voici un bref extrait du compte rendu de la réunion du comité de pharmacovigilance du 6 juillet 2018 [3]. Je précise que ce document est frappé de Copyright et clause de confidentialité. La clause de confidentialité s’applique aux participants qui se doivent de ne pas en faire état à l’extérieur. Pour le copyright, je ne veux pas créer d’ennuis à l’AIMSIB aussi je propose de brefs extraits comme cela est normalement autorisé dans un but d’analyse :

« Les données du portail de déclaration des effets indésirables montrent un pic de notification des effets indésirables (EI) entre les mois d’août et d’octobre 2017, avec une forte baisse des notifications depuis le mois de novembre 2017. »

Cela n’est pas secret car confirmé de multiples façons. Par contre, moins diffusé :

« 1) Analyses chromatographiques : Une recherche de dextrothyroxine dans les produits à base de lévothyroxine de la société Merck (LEVOTHYROX® et EUTHYROX®) a été mise en œuvre par la Direction des contrôles de l’ANSM suite à des analyses présentées par l’association de patients AFMT (Association Française des Malades de la Thyroïde) qui mettaient en évidence un pic qui serait de la dextrothyroxine dans deux lots de produits finis nouvelle formulation (NF) et absent de l’ancienne formulation (AF). »

Ou encore, « Les lots utilisés pour ce dosage ont été achetés en officine et sont ceux disponibles actuellement sur le marché. Compte-tenu de leur date de péremption (septembre et octobre 2019 et août 2020), ces lots ont probablement été fabriqués en Automne 2017 soit plusieurs semaines après les premières mises à disposition de la NF (pour rappel fin mars 2017). »

Plusieurs semaines après les premières mises à disposition … pour le 1er avril ! C’est un poisson d’avril ! Si je compte bien, ça fait plutôt 6 mois jusqu’à l’automne 2017. Une question vient aussitôt à l’esprit : ces lots produits en automne 2017 étaient-ils identiques à ceux produits en mars 2017 alors qu’il est reconnu que les déclarations spontanées d’effets indésirables ont chuté à ce moment là ?

La conclusion du comité de pharmacovigilance sera celle qu’on pouvait attendre : « Ces dernières analyses sur la présence de dextrothyroxine, comme celles réalisées précédemment dans les laboratoires de l’ANSM, confirment la bonne qualité de la nouvelle formule du LEVOTHYROX® »

Donc tout va bien du côté  du produit, ouf ! Qui oserait mécontenter Merck ? Pourtant, selon le site ‘’Pourquoi Docteur ?’’ [4] un chercheur toulousain de l’université Paul Sabatier, Monsieur Jean-Christophe Garrigues découvre un important pic d’impuretés dans la nouvelle formule du Levothyrox, alors qu’il n’existait pas dans l’ancienne, explique Mediacités.  Pourquoi l’ANSM n’a-t-elle pas poussé plus loin l’analyse de cet élément qui devient forcément inquiétant lorsque l’on est dans un contexte de crise sanitaire ? », s’interroge-t-il auprès du site d’investigation.

Jean-Christophe Garrigues réalise alors que cet élément chimique est présent à plus forte dose dans les médicaments distribués en 2017 que dans ceux achetés cet été en pharmacie (en 2018). « Ce qui laisse entendre que la composition du Levothyrox aurait été améliorée depuis les débuts de la commercialisation de la nouvelle formule en 2017 », interpelle-t-il. »

Conclusion

Il y a sans doute encore beaucoup de choses à trouver et à dire à partir de ce rapport et autres documents de l’ANSM mais je me propose d’arrêter là pour le moment mes investigations laborieuses sur le sujet car je sais que cet article est attendu. Il n’est sans doute pas achevé car l’affaire est complexe et embrouillée mais il est temps de laisser la place à vos commentaires qui seront les bienvenus car ce sont d’abord vos témoignages  de victimes, de médecins, d’observateurs qui pourront aussi dynamiser cette réflexion. La réponse est plus importante que la question disait Jacques Chancel. Vos témoignages seront plus importants que mes investigations car ils sont la vie vécue.

 

 

ANNEXE:  Sachez devenir autonome en descendant dans les gaines techniques de l’immeuble mathématique!
Il y a 4 nombres qui interviennent techniquement, la valeur théorique 1 du ratio, la valeur observée R de ce ratio et son intervalle de confiance (à 95%) [A   B]. Si on reste à ce niveau il est IMPOSSIBLE de travailler correctement, il faut descendre au sous-sol. L’escalier de descente c’est le logarithme népérien noté officiellement ln et qui se trouve sur toutes les calculatrices pour le bac. Avec une telle calculatrice vous obtiendrez aussitôt les 4 nombres :
ln1=0 ; ln(R)=r ;  ln(A)=a ; ln(B)=b
Nous sommes maintenant au sous-sol au milieu des tuyaux et des vannes de commandes. Mais ça marche comment, me direz-vous ? Il y a la relation r-a=b-r=1,96s où s désigne l’écart-type qui est l’unité recherchée, la seule valable en calculs de probabilités. On l’obtiendra aussitôt en divisant r-a par 1,96.
La valeur 1,96 est liée uniquement au niveau de l’intervalle de confiance qui est de 95 %. Elle n’est pas liée à l’échantillon. Si on voulait un intervalle de confiance à 90 % on prendrait 1,645 et 2,576 pour un intervalle de confiance à 99 %.
Nous voulons évaluer la distance entre R et 1 et pour cela il faut évaluer la distance entre leurs logarithmes r et 0 en prenant l’écart-type s comme unité. Il suffit de diviser r par s et le tour est joué !
Application numérique (annexe 11B du rapport)Pour le groupe de ceux qui ont arrêté la NF, on a R=1,11  A=1,08 et B=1,15. En fait il suffit de travailler avec R et A. Si vous faites les calculs, vous devriez trouver  r=ln(1,11)=0,10436…; a=ln(1,08)=0,07696…; la différence sera 0,027398… ; en la divisant par 1,96 vous trouverez s=0,013979… qui est donc l’unité désirée. Il suffira alors de diviser r par s pour avoir la réponse : 7,465. On pourra alors dire que R se trouve à plus de 7 écarts-type de 1. Reste à apprécier si un tel écart est compatible avec des variations aléatoires ou peu compatible. Voici une échelle de comparaison :

écart 1 2 3 4 5 6 7
probabilité 15,87 % 2,28 % 1,35/1000 4/100 000

< 1/10 000

3 sur 10 millions 1 sur 1 milliard < 1 sur 100 milliards

Le seuil habituel de signification est placé à 2,5 % qui correspond à un intervalle de confiance à 95 % : on laisse 2,5 % de part et d’autres de cet intervalle. Ce seuil est atteint avec un écart de 1,96. On constate que pour 2 on est un peu en dessous avec 2,28 %. On constate qu’un écart de 7 écarts-type correspond à une probabilité inférieure à 1 sur 100 milliards. Difficile d’attribuer un tel écart au seul fait du hasard !
Une idée préconçue à éradiquer de toute urgence !
Chacun a certainement entendu cette ritournelle : « si l’odds ratio vaut 3 cela veut dire que le risque est 3 fois plus élevé. »  Cela ne vaut strictement rien car l’odds ratio dépend de la taille de l’échantillon. Avec de grands échantillons, comme ici (près de 100 000 cas), l’écart-type étant petit il n’est pas nécessaire que l’odds ratio s’écarte beaucoup de 1 en apparence, c’est  dire quand on juge en prenant 1 pour unité, pour que l’écart observé entre 1 et l’odds ratio soit très significatif. On le constate sur cet exemple avec un ratio de 1,11 qui serait jugé très modéré par tous les commentateurs, car peu éloigné de 1,  alors qu’il en est extrêmement éloigné !!!
Une correction à faire :
Dans le tableau 11C reproduit plus haut, vous lirez pour le groupe de ceux qui ont maintenu la NF tout au long du suivi et à la rubrique médecin généraliste : 1,02  [1,02  1,03]. Le ratio est ici affiché égal à la borne inférieure de l’intervalle de confiance ! Il n’en est bien sûr  rien, c’est une situation impossible qui se manifeste ici en raison d’arrondis trop précipités. Les auteurs sont habitués à gérer des échantillons d’au plus quelques centaines de personnes mais ici il y en a plus de 700 000. Je ne doute pas de la compétence des auteurs endocrinologues dans leur spécialité mais on a le droit, le devoir, d’émettre des réserves quant à leurs compétences en calculs, c’est le moins qu’on puisse dire ! En pareil cas il fallait garder une ou deux décimales de plus.
QUESTION : cela pourrait-il fausser les calculs que je propose pour évaluer la distance entre 1 et R ? Il est possible d’effectuer une correction très simple qui évitera toutes contestations à ce sujet.
Je remplace 1,02 par 1,015 qui est la  limite de l’arrondi sur 2 décimales à 1,02 car si la borne inférieure était inférieure à 1,015 les auteurs auraient pris 1,01. De même je remplace 1,03 par 1,035 car au-delà il y aurait 1,04. Puis je calcule R en prenant la racine carrée du produit de ces 2 bornes, soit 1,02495…En effet, on a la relation R²=AxB qui résulte de la relation a+b=2r et du fait que l’exponentielle qui permet de revenir à R et A transforme les sommes en produits
Il n’y a plus qu’à utiliser la procédure à 1,02495… et 1,015. Comme l’intervalle de confiance a été élargi au maximum par ce procédé, l’écart-type trouvé sera plus grand que l’écart-type réel. On trouvera alors un écart de 4,95 écarts-type entre 1 et R qui est inférieur à l’écart réel, ce qui évitera toutes contestations.
Notons, pour terminer, qu’on constate l’existence d’un signal très fort avec un ratio de seulement 1,02 calculé par le logiciel.

Qui l’eut cru ?

 

Sources:
[0]  https://www.aimsib.org/2019/02/10/levothyrox-nouvelle-formule-aucun-probleme-quils-disent
[1] https://www.ansm.sante.fr/content/download/162063/2120345/version/1/file/Rapport_Etude_L%C3%A9vothyrox_SNDS_Juin2019.pdf
[2] https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/73c1a2f8f97a5fd351f4196ed1d68b1a.pdf
[3] https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/33628f616a0bcb3d0b10a4bfcf1dab82.pdf
[4]  https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/27046-Levothyrox-chercheur-aurait-decouvert 

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